Salut Djief, peux tu te présenter en quelques mots ?

Oui, bien sûr ! C’est tout simple, je suis un artiste des nouveaux médias de profession et bédéiste de passion. J’entends par nouveaux média, les domaines du multimédia, de l’Internet et des jeux vidéo. Voilà pourquoi, depuis un an, je touche aussi à la bande dessinée en ligne. Pour brosser un portrait rapide je dirais que j’habite à Québec (au Canada), que j’ai 29 ans et que je suis père de deux jeunes enfants et mari d’une charmante Marie.

Du point de vue professionnel : dans le domaine du divertissement interactif , j’ai eu la chance d’être sur l’équipe de conception du jeu Playstation The Grinch, un jeu de plate-forme basé sur le conte du Docteur Seus et que Universal nous avait commandé l’année dernière (Ce jeu est sortie en décembre dernier en même temps que le film de Ron Howard avec, entre autre, Jim Carrey). Puis, depuis huit mois environ, je travaille comme concepteur des tableaux du jeu en ligne : Steppen Wolf sur le site de Warner Bros. (www.warner.com dans la section Originals) Une sorte de dessin animée interactif combiné à un jeu vidéo d’aventure.

Trève de bavardages, si je t’ai demandé un entretien, c’est surtout parce que L’Oreille Coupée est bien la BD en flash la plus complète à ce jour. Quelle a été la genèse de ce travail (NB : été 2001) ?

Je ne sais pas si c’est la BD en flash la plus complète à ce jour (Les aventures de John Lecrocheur sont bien réalisées aussi) mais merci pour l’introduction de ce projet qui a été pour moi, ni plus ni moins, qu’une première expérience en BD interactive. Réalisée sur un scénario d’André-Philippe Côté, ce récit devait être à l’origine une BD traditionnelle sur papier. Comme je voulais tâter le terrain du mélange Bd-multimédia, mais que je n’avais aucune idée du temps et de l’énergie qu’une telle entreprise allait me prendre, j’ai décidé de finalement adapter cette histoire qui somme toute, même si elle n’avait pas été écrite pour le médium interactif, constituait un excellent exercice. Par conséquent, ce projet m’a donné un portrait assez juste pour une production réellement interactive (une BD où l’on pourrait par exemple vraiment altérer le court du récit et modifier les finales).

L’intrigue et la montée dramatique concoctée par Côté m’emballaient et étaient toutes prédestinées au multimédia (enfin, de mon point de vue). Je pressentais que pour réaliser L’Oreille Coupée, tel que je l’imaginais, j’allais avoir besoin de ressources externes onéreuses. J’ai donc monté un dossier et j’ai décroché une subvention du Conseil des Arts et Lettres du Québec. Côté temps de production, j’ai mis pas moins de cinq mois d’énergie à temps perdu sur ce projet, incluant le découpage technique, la recherche graphique, la réalisation des dessins, la coloration, le choix et la recherche musicale et finalement l’intégration en Flash. Le résultat ne m’a pas déçu.

Non contents de réaliser une interface de lecture en flash, toi et tes collaborateurs vous êtes payé le luxe d’une sonorisation d’ambiance mais aussi et surtout d’un doublage vocal qui remplace idéalement les habituels encadrés descriptifs…

Pierre Potvin (le narrateur) m’a été recommandé par les gens du studio de son où j’ai fait ma recherche sonore pour la BD. Je n’ai pas enregistré les dialogues car je ne voulais pas me retrouver avec un boulot de lypsinc sur le dos et que je ne pouvais me payer qu’un seul comédien. De toute façon, le résultat aurait plutôt lorgné du côté du dessin animé et se serait éloigné de l’esprit de la bande dessinée si je n’avais pas gardé les phylactères. Le scénario se prêtait bien à une narration et Potvin a fait un travail remarquable en apportant une dimension supplémentaire à l’histoire.

On remarque quelques éléments ludiques interactifs à l’intérieur du récit: le contenu de l’enveloppe que l’on peut déplacer à loisirs pour mieux l’inspecter, ou le policier qui livre une confidence à ses collègues… Quel est ton point de vue sur de tels éléments, dont l’usage est rendu possible par le seul support numérique ?

Je pense que l’on peut pousser beaucoup plus loin cet aspect de l’interactivité. Les quelques éléments vraiment interactifs de L’Oreille Coupée sont à mon sens, quelque peu discrets. Mais comme je le mentionnais tout à l’heure, j’ai volontairement réduit ce volet dans cette première production pour me concentrer sur le récit et le rapport étroit entre la mise en scène et le montage multimédia.

Pour une autre BD en flash que tu as réalisée seul –Coup de Pub avec le Menou– tu n’as pas fait usage de ces possibilités, par contre on remarque une fois encore une attention certaine à l’ambiance musicale qui colle de prêt à la lecture sans pour autant imposer le temps de lecture…

En effet, Coup de Pub avec le Menou est un petit projet monté en une semaine et réalisé sans prétention de révolutionner quoi que ce soit. Ici, j’avais plus envie de monter une espèce de petit strip avec un état d’esprit jazzé

Tu as également pris le parti d’imposer de cliquer chaque case pour faire apparaître la suivante. Pourquoi ce choix ?

Par économie de temps tout simplement. Le principe se révèle assez banal, j’en conviens, mais ne nuit pas au récit.

Il n’est pas facile de distinguer la limite entre un dessin animé et une bande dessinée depuis que l’usage de flash est apparu… Quelle est ton opinion à ce sujet ?

Je crois que c’est premièrement une question de moyen et deuxièmement de choix artistique. Faire du dessin animée de qualité demande une armée d’artistes et une stylisation particulière du dessin. Les formes doivent souvent êtres épurés et les volumes respectés religieusement. Un trait au pinceau comme dans L’Oreille Coupée est un cauchemar à animer. Donc, de mon côté, j’ai opté pour une utilisation sobre mais efficace de l’animation. Ce ne sont souvent que des translations ou des modifications dans l’échelle des éléments qui ont été mis à profit. Lorsqu’une séquence s’avérait plus rythmée, je dessinais deux ou trois positions du personnage et je les enchaînais en fondu les unes avec les autres. Je faisais finalement l’équivalent des poses clés en animation et je laissais l’imagination des lecteurs faire l’interpolation.

Pour en finir avec la BD, peux tu nous dire quelles sont tes ambitions dans ce domaine ? L’Oreille Coupée a bénéficié de subventions, crois tu que la bande dessinée en ligne puisse parvenir à nourrir son homme un jour ?

Je crois que oui. Du moins, le monde du cyberespace va encore beaucoup changer dans les années à venir et les grands sites vont avoir un besoin criant de contenus (c’est déjà le cas, malheureusement l’argent ne suit pas encore) On voit déjà des sites spécialisés en divertissement produire une grande quantité de court dessins animées ou de jeux en Flash. Je pense que la BD interactive saura un jour se tailler une place sur la toile.

Enfin, peux tu nous parler de tes projets futurs ?

J’ai bien envie de pousser plus à fond le médium interactif avec de nouveaux scénarios d’André-Philippe Côté. Très certainement des histoires avec un inspecteur de la police. Ce qui permettrait au lecteur de « construire » et déconstruire le récit, un peu comme un enquêteur remontant l’ordre des événements qui ont précédés un crime. Si ce projet fonctionne, je devrai débuter la production cet automne, c’est à suivre.