Internetactu a publié un passionnant dossier autour de la question « Comment Internet transforme-t-il la façon dont on pense ? ». Au terme de ce dossier, nous sommes tous invités à partager notre propre expérience des bouleversements engendrés par Internet dans nos manières de penser et d’agir. Ma modeste contribution s’efforce d’y répondre sous l’angle de la création artistique et narrative. Elle débouche sur un constat récurrent ces derniers mois : les professionnels de la bande dessinée sont loin d’avoir intégré les transformations profondes causées par Internet dans notre façon de penser le monde en général et l’art et sa diffusion en particulier.

Internet, catalyseur d’une passion et d’une pratique artistique

Internet fait partie de mon quotidien depuis la fin des années 1990. J’étais alors au lycée. Depuis lors, j’ai toujours accédé au web en haut débit : avant l’ADSL, Metz a été l’une des premières villes de France à offrir une connexion par le câble. Depuis mon plus jeune âge, je me passionnais pour le dessin et les arts plastiques en général. J’ai fréquenté les ateliers d’art pour enfants et ados jusqu’à l’obtention de mon bac S. Après quoi, j’ai rejoint la filière Arts Plastiques à l’université. Avant de devenir mon métier, Internet a été une véritable révolution dans ma pratique et ma réflexion artistique.

Je me suis réellement intéressé à la bande dessinée en même temps que je faisais mes premiers pas d’internaute. La discussion sur Usenet avec d’autre bédéphiles a été le catalyseur de cette passion. Sans cette communication avec d’autres lecteurs rendue possible par Internet, je ne me serais sans doute pas intéressé à l’histoire et à la théorie de la bande dessinée.

A la même période, les concours de bande dessinée étaient mes seuls prétextes pour raconter des histoires. Internet a changé la donne : il m’a offert un espace de publication. Progressivement, j’ai eu à coeur de produire des planches parce qu’elles pourraient être lues. Les internautes de l’époque étaient peu nombreux, mais ils étaient prompts à vous envoyer un petit message électronique pour vous remercier d’avoir lu quelque chose sur votre « page perso ». Cette expérience a forgé ma conviction que la bande dessinée est un art intimement lié à l’opportunité de publication. Par sa promesse d’une reproductibilité technique sans limite, Internet m’est apparu très clairement comme le support optimal pour la BD.

De fil en aiguille, au contact « virtuel » d’autres créateur de bande dessinée plus talentueux, je me suis tourné vers la promotion de leurs oeuvres et j’ai délaissé les miennes. Au terme de mes études d’Arts Plastiques, je me suis orienté vers la production et la gestion de contenus web. Internet est devenu mon métier. La bande dessinée en ligne demeure ma passion. Internet a indéniablement transformé ma façon d’aborder la création artistique, moi qui à 7 ou 8 ans me voyait artiste peintre.

Internet nous oblige à repenser la création narrative

Au contraire de la BD qui m’est apparue comme un medium idéal pour Internet, la création d’oeuvres picturales ou plastiques s’est révélée bien moins enthousiasmante depuis l’arrivée d’Internet. La bande dessinée permet de raconter des histoires en mêlant plusieurs medias (à commencer par le texte et l’image) sans exiger les ressources techniques, humaines ou financières d’un jeu vidéo ou d’un film. Le texte littéraire se heurte en revanche à nos capacités d’attention. La vidéo en ligne est quant à elle réduite au statut d’image panini du XXie siècle : courte, percutante, vite partagée et vite oubliée.

Malheureusement Internet n’a pas encore transformé la façon de penser des éditeurs de bande dessinée. Il n’ont pas compris comment s’adapter aux nouvelles façon de penser de leur public et en tirer parti. Ces derniers mois, les professionnels multiplient les éditions numérisées d’oeuvres issues de leur catalogue papier. Ces dérivés numériques sont commercialisés à l’unité, souvent pour la lecture sur téléphone mobile. Les éditeurs font de la BD numérique un sous-produit jetable. Internet leur offre pourtant des opportunités pour redynamiser un marché qui plafonne.

A la fin de mon adolescence, j’avais la chance d’avoir accès à une médiathèque municipale bien achalandée. Si je n’avais pas emprunté chaque semaine une douzaine d’albums, je ne serais pas devenu le lecteur de BD que je suis. Grâce à Internet tout le monde pourrait feuilleter un large catalogue numérique et découvrir des oeuvres avant de les ajouter à sa collection ou de les offrir !

La génération du Baby Boom s’est passionnée pour la bande dessinée grâce aux illustrés. La bande dessinée doit beaucoup de sa reconnaissance actuelle à cette génération. Or, Internet offre de nouveau l’opportunité de publier régulièrement de la bande dessinée populaire et accessible au plus grand nombre…