The CarrierJ’ai totalement oublié de chroniquer ici une BD découverte sur iPhone en mars dernier : The Carrier, par Evan Young. Le scénario d’espionnage ne fait pas dans la dentelle, en mixant allègrement terrorisme et pandémie, sur fond de conspiration. Comble du poncif : le personnage principal est amnésique. L’ensemble est servi par des dessins de style « comics » qui manquent cruellement de personnalité… Sauf que cette BD numérique pour iPhone offre 10 jours de lecture en temps réel à partir de l’instant où l’on décide d’entamer (ou de recommencer) sa lecture. Une version iPad est également disponible.

Voilà une expérience encore inédite. Il m’est arrivé de recevoir sur mon téléphone jusqu’à 10 notifications dans la même journée. Chaque notification invite à découvrir ce qui vient de se passer à l’instant même dans le récit, à travers un court épisode de quelques vignettes. En plus de ces notifications, j’ai reçu des emails fictifs avec des coupures de journaux, des bulletins météo, des articles de blog ou de fausses publicités plus ou moins liés aux événements.

On parle beaucoup du feuilleton comme de la voie à suivre pour la BD en ligne. On a en tête des récits au long cours, qu’il faudra bien souvent prendre en route et qui n’auront pas de fin de sitôt. The Carrier propose une alternative : le feuilleton individuel. Une fois l’histoire achevée, il est possible de la réinitialiser pour revivre l’expérience. Par l’immersion que son dispositif suscite, The Carrier n’est pas sans rappeler l’expérience du jeu In Memoriam d’Eric Viennot, tout en restant dans le champ de la bande dessinée.

Plutôt que de chercher à épater le lecteur par des effets interactifs, visuels ou sonores, cette BD numérique s’inscrit humblement dans les usages naturels de son support. Le lecteur a toujours son téléphone mobile à portée de main, il est devenu familier des notifications en « push » de ses amis (par SMS) ou de ses applications, il se sert massivement de son smartphone pour consulter sa messagerie électronique (bien souvent pour suivre l’actualité). Chacun de ces usages devient un Rabbit Hole[1] pour pénétrer dans la BD. C’est une illustration concrète de la posture que je défendais face à une conception de la BD numérique qui place l’interactivité au premier plan au lieu de la rendre invisible.

Notes

[1] Cette expression vient d‘Alice au pays des merveilles, où le terrier du lapin constitue un portail vers le pays des merveilles. Les jeux en réalité alternée (ARG) parlent de Rabbit Hole pour qualifier les indices qui permettent d’entrer dans le jeu depuis le monde réel.