Lorsque l’annonce du projet Les Autres gens a commencé à circuler, j’étais assez mitigé. Puis, il a fallu faire face à l’obligation d’ouvrir un compte pour accéder aux planches gratuites. Sans compter les bugs de jeunesse et une interface largement perfectible. Un mois plus tard, l’abonnement entre en vigueur. Je n’ai pas hésité une seconde à débourser les 29 malheureux euros qui me vaudront une pleine année de feuilleton quotidien. Je m’en félicite d’autant plus qu’aujourd’hui, le récit prend une nouvelle dimension : les « autres gens » sont sur Facebook, je les ai rencontrés.
Le teasing autour de la « BD novela » de Thomas Cadène ne m’avait pas emballé :
- un mois de teasing sur Internet c’est long, très long ;
- il s’agit de bande dessinée, réalisée des auteurs brillants, mais le seul os à ronger était une vidéo assez moyenne ;
- un feuilleton est par nature accrocheur à chaque épisode, même si l’on « prend le train en route ».
La mayonnaise a pris malgré tout. Le buzz ramdam médiatique a fonctionné. Fin mars, le feuilleton totalisait 5 000 inscrits. Pas mal au regard de l’audience des blogs BD les plus réputés, sur lesquels le visiteur n’est pas freiné par l’ouverture d’un compte d’accès.
L’histoire s’est révélée prenante : bon scénario, excellents dessinateurs, et surtout une régularité de métronome propice à l’accoutumance. On ne le répétera jamais assez : la clé du succès d’une BD en ligne réside dans la régularité des publications. C’est un contrat moral entre les auteurs et leurs lecteurs : nous reviendrons lire vos planches, plus nombreux chaque jour, aussi longtemps qu’elles seront publiées en temps et en heure. C’en était assez pour me convaincre de m’abonner pour un an.
S’abonner aux Autres gens c’est aussi un acte militant. A l’heure à laquelle le premier groupe d’édition d’Europe dépense des centaines de milliers d’euros pour recycler son catalogue sous forme de BD à la demande, il me semble important de soutenir un vrai projet artistique. Ces auteurs reconnus du marché traditionnel ont pris le risque de se lancer sur le web, les lire est la moindre des choses. Si Les autres gensréunissait plus d’abonnements mensuels à 2,79€ qu’Iznéo ne génère de locations pour 10 jours à 2€, ce serait une belle victoire de la création en ligne sur l’exploitation de la BD numérisée.
Une ombre restait au tableau. En apprenant le lancement d’un soap BD en ligne, j’avais immédiatement repensé à quelques idées folles nées aux heures de gloire des blogs BD :
Si je devais faire un soap en BD je le ferais avec des blogs, des pages facebook, des comptes twitter… L’autofiction prendrait une autre dimension : chaque auteur serait acteur du personnage pour lequel il aurait été « casté ». Témoins direct des frasques de leurs héros, les lecteurs seraient placés au centre de l’oeuvre sans vraiment pouvoir la saisir dans son ensemble. Plutôt que de faire payer l’accès au tout, j’imaginerais des accès restreints à des contenus adultes existants dans la diégèse du soap, la vente de recueils publiés par les personnages/blogueurs sur la base de leur propre prose… Bref, je créerais un récit en « réalité alternée » en m’appuyant sur la passif des blogs BD. (mon statut Facebook du 20 février 2010)
Sans aller aussi loin, je ne pouvais qu’être déçu de l’usage somme toute conventionnel que Les Autres gens faisait du web. Moi qui voyait le soap BD en ligne comme une opportunité de création transmédia.
Mes voeux ont été exaucés. Si vous vous êtes abonné aux Autres genscomme moi aujourd’hui, vous n’aurez pas manqué une scène de réseautage social. Vous n’aurez pas eu grand mal à trouver vous aussi les contacts mentionnés dans la BD et à devenir leur ami sur Facebook. Nul doute qu’il va se passer des choses hors des murs de la BD en ligne et que le monde des Autres gens s’apprête à interagir avec le nôtre. C’est peut-être la réponse à la question que tout le monde se posait : comment vont-ils parvenir à gagner de nouveaux lecteurs une fois que tout sera verrouillé derrière la nécessité de s’abonner ? Tout simplement en débordant du cadre de la publication payante, en exploitant le potentiel social d’Internet.