Je contribue aux Actes augmentés du colloque « Les écologies du numérique » de l’école supérieure d’Arts d’Orléans, sous la direction de Ludovic Duhem. Ce texte éclaire la filiation entre mes premiers travaux autour de l’innovation narrative et l’émergence les concepts de navigation contributive et de croisement sur lesquels repose la technologie needle.

Résumé

La notion d’innovation narrative s’est forgée à partir de l’étude du processus de production de sens qui réunit des individus autour de nouvelles formes narratives. Or, l’expression individuelle peine à porter face aux industries qui disposent des moyens nécessaires pour de vastes projets transmédia. En outre, les grandes plateformes modèlent un environnement numérique hostile aux pollinisateurs de nos imaginaires (auteurs, artistes ou journalistes). D’où la proposition d’une navigation web contributive qu’incarne le projet needle, fondé sur le concept de croisement.

Extraits

Je suis devenu internaute alors que j’entrais dans l’âge adulte et me passionnais pour la bande dessinée. Dans le contexte du web de la fin des années 1990 où les opérateurs mettaient en avant cette possibilité et fournissaient les outils et les conseils pour la saisir, j’ai eu tôt fait de créer ma première page personnelle et d’y publier – en amateur – mes planches de bande dessinée. À cette période, nous dépendions principalement de divers annuaires pour trouver de nouvelles pages web sur lesquelles surfer. En 2000, avec l’aide de Thomas Clément, créateur de l’annuaire de la bande dessinée, je mettais en ligne la première version de l’annuaire de la BD en ligne. Les multiples versions de ce portail ont accompagné ma formation d’autodidacte des technologies web. Après des études d’arts plastiques, j’ai finalement fait du web mon métier en 2005. Deux ans plus tard avec Pierre Matterne et Julien Portalier, nous mettions en ligne le portail d’hébergement de BD numérique Webcomics.fr. En 2009, mon blog était cité par Franck Guigue dans la revue Hermès comme une « excellente » source de veille pour suivre l’évolution de la bande dessinée numérique. J’ai par la suite été sollicité afin d’intervenir lors de tables rondes consacrées à la bande dessinée numérique par le groupement BD du Syndicat National des Auteurs Compositeurs (juin 2010) et par l’ENSSIB (mai 2011). Mais en 2011, ces créations tardaient toujours à se professionnaliser. Conjuguée au désir d’un nouveau départ professionnel, la thèse de doctorat constituait à mes yeux l’occasion de mettre à plat les questions qui me taraudaient et pour lesquelles je commençais à être reconnu.

(…) les auteurs de LAG comme de MediaEntity partagent le sentiment d’avoir été débordés. S’ils se sont réalisés dans l’invention d’une forme narrative nouvelle et dans la rencontre avec un public attiré par cette invention, ils n’étaient pas en mesure d’assumer en parallèle les fonctions nécessaires à la commercialisation, à la monétisation. Bien que leur invention ait intégré la question de son modèle économique, il leur a manqué le temps, les compétences et les moyens de déployer ce modèle. À cette difficulté s’ajoute depuis quelques années celle de mettre en œuvre des récits sur des écrans de plus en plus multiples (smartphones, tablettes, ordinateurs, consoles de jeux), dans des interfaces aux audiences plus ou moins étanches, aux codes et aux formats de plus en plus spécifiques (multiplication des réseaux sociaux). Et ce, tout en faisant face à la concurrence des contenus produits par les industries de l’audiovisuel (séries télévisées, web-séries, cinéma) et du jeu vidéo. Quelle place reste-t-il à l’expression individuelle dans ce concert dominé par ceux qui disposent des moyens de réunir les compétences créatives, technologiques et commerciales pour de vastes projets transmédia ?

(…)

Par leur action, les GAFA asphyxient celles et ceux qui pollinisent nos imaginaires. Pour aller plus loin, il fallait élargir la focale et s’intéresser à d’autres modes narratifs contemporains. Si l’auteur de bande dessinée numérique est apparu comme une sorte d’homme-orchestre, le journaliste à l’ère numérique a pu être décrit comme un « journaliste shiva », car il devrait à la fois écrire, photographier, filmer, enregistrer et publier. Plus globalement, il s’avère que la profession recrute de moins en moins et sur des statuts de plus en plus fragiles. Ne pouvant s’appuyer autant que d’autres secteurs éditoriaux sur l’exploitation de son fond, le secteur de la presse voit son chiffre d’affaire décliner année après année. 

De fait, quel que soit l’état de santé du secteur éditorial concerné, les auteurs qui sont à sa base se paupérisent, comme on peut le constater à la lecture des conclusions des Etats Généraux de la bande dessinée de 2016, de celle des rapports consacrés aux auteurs littéraires ou à encore à l’écosystème de la presse.

(…)

C’est sur ce terreau réflexif, taraudé par la prise de conscience écologique que le numérique constituait un environnement à défendre d’urgence, qu’a germé fin 2015 l’idée d’une navigation web contributive. En effet, comment répondre aux multiples urgences écologiques si nos idées et nos sources d’inspiration s’étiolent ?

Pour citer ce travail

Julien Falgas. De l’innovation narrative à la navigation web contributive. Colloque international Les écologies du numérique #2. Vers un design post-numérique, Écolab (École supérieure d’art et de design d’Orléans), Dec 2018, Orléans, France. In: Actes augmentés du colloque « Les écologies du numérique », sous la direction de Ludovic Duhem, 2022. [En ligne] https://ecologies-du-numerique.fr/2021/08/26/de-l-innovation-narrative-a-la-navigation-web-contributive/.