C’est en substance l’idée qui a guidé mon intervention lors de la table ronde “IA et désinformation” organisée par l’observatoire du Forum sur l’Information et la Démocratie au siège du CNRS à Paris, dans le cadre d’une journée destinée à réunir l’écosystème français de lutte contre les menaces informationnelles mardi 24 mars 2025.

Animé par Jean-Gabriel Ganascia, le panel a réuni Patrick Bas et Alda Mari. Les échanges ont été préparés avec Iris Boyer et Anne-Laure Thomas Depas.

Synthèse de ma prise de parole

Rappelons que l’IA n’est pas seulement une discipline des sciences informatiques à l’origine d’un ensemble de techniques :

  • Les systèmes d’IA sont des dispositifs socio-techniques qui englobent l’extraction de ressources et du travail de millions d’annotatrices et d’annotateurs (comme le souligne le sociologue Antonio Casilli)
  • L’IA générative telle que nous la connaissons est conçue pour augmenter une minorité d’utilisateurs, sans aider qui que ce soit à s’améliorer.

Plutôt qu’être développées comme une fin en soi dans une course aveugle, les techniques d’IA pourraient être conçues pour outiller et étayer l’intelligence collective. C’est un potentiel du numérique ô combien négligé, comme l’a montré Dominique Boullier dans sa sociologie du numérique.

Si le débat politique et démocratique sur ces questions est confisqué, c’est à cause de l’impensé numérique (concept élaboré par Pascal Robert depuis une trentaine d’années) qui traverse le discours sur la technique depuis les débuts de l’informatique. Cette désinformation coriace autour de la place de la technique dans nos sociétés n’est donc pas nouvelle.

Or, en perpétuant l’impensé numérique, nous nous coupons toute possibilité d’imaginer d’autres possibles.

Il est nécessaire de mettre à bas le modèle toxique des très grandes plateformes :

  • Appliquer une fiscalité comportementale brutale et sans concessions pour les détourner du modèle de captation de l’attention. Les Nobel d’économie Acemoglu & Johnson proposaient il y a un an une flat tax de 50% sur les revenus de la publicité en ligne.
  • Rendre les plateformes responsables en tant qu’éditrices des publications dont leurs algorithmes accentuent la propagation.

Surtout, nous devons préparer l’avenir sans nous contenter de substituts. Hors du marché de captation de l’attention, les interfaces des plateformes ne seraient pas ce qu’elles sont. Pourquoi diable les reproduire ?

Au travers du projet Needle.social, je me confronte depuis près de 10 ans au problème suivant : comment développer et pérenniser une plateforme numérique innovante pensée pour l’intérêt général, lorsque les financements et l’accompagnement de l’innovation se concentrent sur la valorisation économique ?

La Recherche publique a une responsabilité à prendre dans l’innovation sociale :

  • Cesser de confondre technique et technologie : l’étude technologique des techniques implique de penser les rôles politiques, économiques et sociaux de ces techniques et des dispositifs qu’elles intègrent. Si l’on parle de problèmes liés à l’information et à la communication, l’innovation technologique dépend au premier chef de l’apport des sciences humaines et sociales. Faute de moyens pérennes en ingénierie logicielle, nos unités de recherche en SHS ne peuvent pas être proactives.
  • L’innovation sociale nécessite un rapprochement entre le monde académique et celui de l’économie sociale et solidaire. L’économiste Paul Muller a montré que les acteurs de l’ESS (coopératives, mutuelles, associations…) sont le rouage indispensable pour faire advenir des innovations sociales qui allient les institutions et les contributions du terrain. Pour adresser des défis sociétaux, c’est vers de telles structures que nous devons transférer les technologies de la recherche publique.