D’abord méfions nous des impostures: une BD en flash n’est généralement pas plus interactive que n’importe quelle BD papier. Cliquer sur une case pour afficher la suivante, voir de petites animations, entendre quelques sons, ce n’est pas de l’interactivité ! Il s’agit tout au plus de ce qu’on appelle le multimédia. L’interactivité comme son nom l’indique suppose une interaction entre l’oeuvre et son lecteur plus poussée que la simple lecture/audition liénaire. On peut distinguer deux grandes formes d’interactivités applicables à la bande dessinée en ligne. L’une est partielle, l’autre beaucoup plus grande.

Mise en réseau des informations

La première forme d’interactivité consiste, pour le lecteur, à pouvoir opter entre plusieurs voies préétablies.

De la même façon qu’un internaute va pouvoir visiter un site comme il l’entend, il pourra par exemple choisir de lire les aventures de Paul plutôt que de Jean qui vient de prendre une autre route, ou encore lire le rêve de Jean plutôt que celui de Paul etc. C’est une forme d’appropriation par la bande dessinée du montage tel qu’il est pratiqué dans le cinéma, mais où l’auteur délègue celui ci au lecteur.

Le principal frein pour l’auteur est une perte relative de pouvoir sur le déroulement du récit, et le fait que tout ce qu’il réalise ne sera pas forcément lu par tous puisque certaines embranchements peuvent se faire au détriment d’autres. Celà demande donc une approche différente de la narration, moins axée sur le déroulement linéaire des événements et plus sur les relations entre ces derniers.

Techniquement il s’agit d’appliquer au récit les propriétés de l’hypertexte ou de la base de données, l’auteur doit donc élargir son champ de compétence pour intégrer celles d’un « designer d’interactivité » ou d’un « game designer ».

Mise en réseau des personnes

La seconde catégorie joue la carte de l’interactivité totale. Le lecteur peut ainsi devenir plus ou moins scénariste, auteur ou acteur de la Bande Dessinée. Il s’agit pour ce faire d’utiliser les moyens de communications tels que le sondage, l’email, le chat ou le forum. Ce sont donc cette fois des compétences d’animateur que l’auteur doit faire siennes.

Ces expériences se heurtent à deux difficultés. La première, et non des moindres: plus encore que pour l’interactivité partielle, l’auteur doit pouvoir investir beaucoup de temps s’il veut que le récit évolue à un rythme intéressant pour le lectorat. Il s’agit dans ce domaine de renouer avec la tradition de l’épisode quotidien ou hebdomadaire.

La seconde difficulté, qui est sans doute la plus grande: l’internaute est de plus en plus passif, il recherche de l’immédiat et rechigne à l’échange ou intervention auprès des webmestres, et donc à fortiori il est très peu enclin à agir sur le scénario d’une Bande Dessinée. L’auteur doit être capable de proposer un univers proprement attractif, sinon addictif, susceptible de réunir une véritable communauté.

Quelle place pour l’auteur ?

Mais le vrai problème de tels récits, est le statut de celui qui délègue au lecteur certains aspects de sa fonction d’auteur, et qui endosse des aspects propres à d’autres fonctions. Peut-être faut-il chercher les réponses dans la tradition orale qui, avant que l’écrit ne la suplante, n’instaurait pas une frontière aussi tangible entre l’auteur et son public. La bande dessinée s’est basée sur la tradition littéraire, mais rien ne l’y attache définitivement.