Vendredi 29 mars 2024, Omar Cheriff et moi-même avons donné une communication dans le cadre du colloque Analyser les réseaux socionumériques – interroger les méthodes qui s’est tenu à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès.

Résumé de la communication

Au cours des dernières années, les réseaux sociaux ont pris une importance massive dans les élections (Fujiwara, Müller, and Schwarz, 2021) tandis que les médias traditionnels et les journalistes perdent en influence (Jones, 2022 ; Fourreau, 2023). Le mésusage des réseaux sociaux et la prolifération des rumeurs ainsi que des fakes news a pris une telle ampleur que certains auteurs les décrivent comme des ”véritables menaces pour le débat démocratique” (Badouard, 2018). Face à cet enjeu, le principal axe de recherche en informatique concerne la détection de fake news (Tacchini et al., 2017 ; Shu et al., 2017 ; Sandrilla and Devi, 2022). Dans ces conditions, comment distinguer les utilisateurs malveillants de ceux qui relaient une information en toute sincérité ? Parvenir à évaluer la sincérité du partage d’une information permettrait de mettre en avant les contributions les plus susceptibles de s’appuyer sur des informations pertinentes. Cette approche permettrait de surcroit de cibler les personnes qui ont le plus besoin d’étayage en matière de littératie médiatique (Rasi, Vuojärvi, and Ruokamo, 2019).

Nous nous proposons de définir la sincérité à partir du travail de la philosophe Elsa Godart (Godart, 2020), de son ancrage sociologique (Goffman, 1956) et de son applications en Sciencesde l’information et de la communication dans l’étude des relations entre les publics et les instances médiatiques (Chambat-Houillon, 2021). Nous mobiliserons également les apports de la théorie de l’argumentation (Villata et al., 2013 ; Paglieri et al., 2013). Nous verrons que les sciences informatiques ont davantage été mobilisées pour étudier la perception de la sincérité par des sujets dans le cadre d’échanges interpersonnels (Baird et al., 2019 ; Hirschberg et al., 2005 ; Pérez-Rosas et al., 2015).

Afin d’évaluer la sincérité proprement dite, nous exposerons une approche graduelle qui distingue pour l’utilisateur le fait de croire à ce qu’il avance ; du fait de le penser sur la base du raisonnement ; de s’appuyer sur des autorités ou des savoirs établis ; ou d’être en mesure d’élaborer des connaissances quitte à remettre en question ses convictions.

Ainsi, dans le cadre des réseaux socio-numériques, nous postulons que l’engagement de l’individu à ”dire sa vérité” s’avère d’autant plus observable lorsqu’il relaie des informations en opposition avec ses croyances ou ses convictions mais aussi avec la représentation qu’il donne habituellement de lui ; c’est à dire dans des situations de ruptures (Garfinkel, 1967). C’est pourquoi nous explorerons plusieurs pistes informatiques tournées vers la qualification tant des utilisateurs que des contenus partagés, en termes d’orientations politiques, idéologiques ou simplement d’intérêts.

En ce sens, des méthodes de TAL (traitement automatique du langage) s’appuient sur l’analyse détaillée du profil d’un utilisateur pour déterminer si une publication ”challenge” sa vision du monde (Xiao et al., 2020 ; Bhatia and P, 2018) lorsque d’autres s’attachent à déterminer des typologies d’utilisateurs (Samory, Abnousi, and Mitra, 2020). Afin de qualifier les contenus, nous nous intéresserons aux approches qui consistent à positionner des journaux idéologiquement sur l’échiquier politique (Rodrigo-Ginés, Albornoz, and Plaza, 2024), à détecter les ”angles journalistiques” employés dans les gros titres (Liu et al., 2019), ou encore aux méthodes visant à classifier des contenus en se basant sur l’activité des utilisateurs (Tacchini et al., 2017).

L’enjeu central de notre communication consistera à partager un état de l’art de ces méthodologies et outils mis en œuvre en sciences de l’informatique pour analyser les réseaux socio-numériques à partir de données massives. Notre objectif consiste à ouvrir un dialogue interdisciplinaire entre ces approches liées au TAL et les méthodologies issues des Sciences Humaines et Sociales.