Il fallait bien que ça arrive : quoiqu’on en dise le multimédia, le numérique, les nouvelles technologies posent bien des questions. Jusqu’alors on se chamaillait un peu pour différencier un dessin d’humour ou une illustration d’une bande dessinée, mais voilà que les choses se compliquent. Que dire si l’auteur peut maintenant mêler son, mouvement et même (!) interactivité.

Demandons nous un instant en quoi consiste le son ou le mouvement… Cela pourra vous paraître trivial, mais il est important de noter que leur caractère principal et celui qui les rapproche c’est le temps. Un son, une animation sont généralement conçus pour être projetés à une certaine vitesse sans coupure ni intervention extérieure. On ne sors le bouton ralenti qu’à fins d’analyse, et l’accéléré quand on se désintéresse de tel ou tel passage ; en dehors de l’éventualité d’une interactivité de lecture plus poussée que marche/arrêt le son ou le mouvement sont voués à l’instant, ce qui est présent bascule sans arrêt dans le passé et point de retour possible sans aller à l’encontre de la volonté de l’auteur.

Dans cette mesure il paraît d’autant plus intriguant de vouloir implémenter ces éléments asservis au temps, à l’intérieur d’une création telle qu’une bande dessinée. Malgré certaines similitudes qui génèrent bien des débats, le cinéma et la bande dessinée différent essentiellement dans leur forme par leur rapport au temps. Là où le cinéma défile sans appel, la bande dessinée se déroule au gré du lecteur. A ce stade on conclurait volontiers que l’animation ou le son n’ont pas leur place en bande dessinée, quand bien même leur usage présenterait un intérêt.

Ce serait commettre une grave erreur, en voulant proscrire de la bande dessinée l’usage d’éléments qui lui sont désormais accessibles on ne ferait que cantonner la créativité des auteurs derrière des barrières érigées en pure abstraction dans nos esprits trop raisonnés. Mais, me direz vous, ce n’est quand même plus de la BD. A vrai dire ces affaires de définitions m’apparaissent aussi ridicules et dangereuses que le type qui un jour a tracé à la règle un grand trait bien droit sur la carte du continent africain, de ces actes inconsidérés de colons bienveillants nous connaissons les répercussions désastreuses… Mais ce serait trop simple d’esquiver la question ainsi.

Aussi voici la façon dont je juge qu’un travail mettant en jeu des éléments sonores ou mouvants est en droit de figurer dans l’Abdel (annuaire des bandes dessinées en ligne). Pour moi le son ou l’animation sont à considérer comme des outils au même titre que la couleur, le trait, la typographie ou toute cette profusion d’éléments auxquels on se targue de pouvoir donner sens (comme si la bande dessinée n’était qu’une linguistique régie par une grammaire, et non un langage capable de faire montre de sa propre poésie). Or la BD a ceci d’étonnant qu’elle mêle tous ces outils qui tout bien considéré ne la définissent que par l’association qui en est faite, tout simplement parce que ces derniers semblent toujours plus propres à d’autres champs de création qu’à celui de la bande dessinée (la couleur appartiendrait à la peinture, le trait au dessin, le texte à la littérature, la mise en page à la mise en scène, le son à la musique, le mouvement à l’animation…).

Finalement il me semble donc tout à fait naturel que le son ou le mouvement entrent dans le champ de la bande dessinée dès lors que la technique le permet. Et il me semble tout aussi naturel de considérer que c’est la proportion et la nature de leur utilisation qui détermine le statut du travail qui les intègre; et pas leur simple présence au sein de ce dernier. Plus prosaïquement dès lors que son et/ou mouvement sont mis en œuvre par l’auteur autrement que de façon systématique ou caractérisée, il n’est plus question pour moi de nier l’état de bande dessinée de son travail.

Quand la BD joue du D

Où il est question de chemins de traverse que nous n’arpenterons pas cette fois.

Quand je parle d’interactivité je parle de la vraie : celle qui vous mène par le bout du nez en vous faisant croire que vos clics ne se cantonnent pas à suivre bêtement une trame binaire suivante/précédente. Oui vous lisez bien : « mène par le bout du nez », cela demanderait un développement bien plus complet et sans doute même quelques mois d’étude. Pour le moment contentez vous de vous demander si l’apparente liberté offerte par une interface interactive n’est pas un moyen neuf de vous faire plus facilement tomber dans les filets de l’auteur pour votre plus grand bonheur. En d’autres termes si la perspective classique a eu ses heures de gloire pour l’effet de réalité qu’elle produit, le ludique, l’interactif ne joueraient-ils pas sur ce type de registre ? Auquel cas ne peut on alors en faire des critères esthétiques ou artistiques ? Envoyez moi vos copies ;).

Question subsidiaire : de quelle façon et dans quelle mesure une bande dessinée peut elle exploiter ce type de ressors ?