Rainbow MistLa post-publication de  »Gordo un singe contre l’Amérique » a permis de donner une seconde vie à un album trop rapidement emporté par la tornade des nouvelles sorties BD. Fred Boot remet le couvert, avec cette fois un album qui n’est pas parvenu jusqu’aux rayons des libraires.  »Rainbow Mist » avait trouvé un éditeur, mais L’Atalante n’a finalement pas pu le porter sur papier en raison de difficultés financières. Qu’à cela ne tienne, les auteurs ont décidé de nous en faire profiter gratuitement sur Internet avant de l’ajouter à nos bibliothèques en commandant un exemplaire imprimé à la demande.

C’est un calendrier des années 60, l’un de ceux dont on arrache chaque jour une page, qui permet à Vince de faire des allers et venues d’une journée dans le passé. À̀ Harlem, un demi-siècle plus tôt, il devient barman au club de jazz Rainbow Mist, espérant attirer l’attention de la belle Bess qui s’y produit.

Rainbow Mist, vignette de la page 34.En feuilletant ce récit, on est d’abord frappé par le graphisme sans concession de Fred Boot. Ce dernier explique par exemple que « les gouttieres colorées qui évoluent au fil des émotions évoquent des portées musicales, notamment les partitions de musiques expérimentales de l’époque. Je pense que le jazz se rapproche aussi de tout cela, c’est une musique qui a souvent adjoint les termes musicaux à des termes graphiques. Note bleue, etc. » Les cadrages sont parfois si serrés et les gouttières si travaillée qu’on est aussi submergé par l’image que le héros est submergé par ses souvenirs.

Les textes de Léo Henry sont tout aussi travaillés. Tout comme pour Gordo un singe contre l’Amérique (scénario : Fabrice Colin), Fred Boot a apporté l’idée et laissé carte blanche à son scénariste pour développer l’histoire, les textes et les dialogues. Une chose est sûre, le dessinateur a du flair pour trouver des scénaristes à la plume alerte. A ceux qui lui reprocheraient un résultat moins lisible que la production habituelle en bande dessinée, Fred Boot lâche : « j’ai eu une sacrée chance de travailler avec Léo et Fabrice. Des garçons comme eux sont rares. Travailler avec des écrivains qui voyagent donne une vraie épaisseur au contenu. Tant pis si cela ne répond pas aux goûts du moment parce que lire demande de l’effort ou parce que les gens ont de moins en moins envie de voir ailleurs s’ils y sont.  »

Interrogé sur son intérêt visible pour l’Amérique de la modernité, le dessinateur explique : « Gordo tourne en dérision une période de rêves, de vitesse et de dépassements durant les années 50. Rainbow Mist montre la désillusion qui commence à apparaître dans les années 60. Les années 50 et 60 restent pour moi des années d’excellence en matière de création. Mais sans nostalgie, sans passéisme puisque je prends ce qui me paraît bon pour tâcher d’aller de l’avant. Ce que ne font pas les personnages de Gordo ou de Rainbow Mist. »

La publication en ligne de Gordo un singe contre l’Amérique a attiré 11 000 visiteurs uniques, même si l’impact sur les ventes de l’album est difficilement mesurable, Fred juge l’expérience positive : « 11 000 personnes pour jeter ne serait-ce qu’un oeil sur cet album plus d’un an apres sa sortie, aucune librairie, aucune bibliotheque ne le permettait. » Souhaitons au moins autant de succès à  »Rainbow Mist » !