Où en est réellement l’offre de bandes dessinées numériques ? Annoncée pour exploser cette année, elle ne se développe que pas à pas, titre après titre. Plusieurs opérateurs entrent en concurrence, proposant chacun leur vision de cette nouvelle façon de lire de la BD, que ce soit sur téléphones mobiles, sur écrans d’ordinateurs ou sur autres tablettes grand format. Mais, si l’offre n’est pas encore pléthorique, force est de constater qu’elle est dispersée. C’est pourquoi Bodoi a interrogé chacun des acteurs du secteur, avec un questionnaire similaire envoyé par email. Dans une série d’articles consacrés à chacun, Bodoi présente leurs réponses de manière brute, afin que NOUS, lecteurs, puissions nous faire une idée, entre vraies avancées, langue de bois et alléchantes promesses.

Voici ici les réponse que j’attendrais de l’acteur idéal sur ce marché balbutiant. Précisons au passage que Bodoi a centré son étude sur les acteurs qui diffusent de la bande dessinée numérique payante. Ce n’est malheureusement pas très clair à la lecture du texte introductif, je m’en suis donc préalablement assuré auprès de Benjamin Roure. Je vous encourage bien entendu à aller lire les premières réponses réunies par Bodoi de la part d’Ave!comics, Digibidi et BDtouch. Voici les miennes.

PRÉAMBULE

Je tiens avant toute chose à saluer l’initiative de Delcourt, qui s’est associé les services d’un vrai passionné de bande dessinée numérique en la personne de Yannick Lejeune, pour éditer des bandes dessinées numériques originales. Tout ce qu’évoque Yannick et très prometteur. C’est aussi (et surtout) d’autant plus intéressant, que l’approche de Delcourt se distingue du mouvement général en direction de l’adaptation pour iPhone des catalogues existants.

GÉNÉRALITÉS

À quelle date votre service a-t-il ouvert ?

Notre service ouvrira lorsque les éditeurs seront prêts à se jeter dans le grand bain de l’édition numérique. Pour l’heure la plupart d’entre eux trempent timidement les pieds dans le pédiluve alors que les gens du cinéma et de l’industrie musicale font leurs premières longueurs dans le grand bain (après avoir longtemps pleurniché dans le petit) et que ceux du jeu vidéo grimpent en haut du plongeoir.

En attendant, nous nous intéressons à tous les jeunes auteurs qui s’efforcent d’explorer les outils numériques et ont déjà inventé les tout premiers formats d’une authentique BD numérique : blogs BD, webcomics… Nous sommes très attentifs aussi à ce qui se passe hors du petit monde de la bande dessinée : licences libres, modèles économiques de la gratuité, comportements des internautes, etc.

Comment caractérisez-vous votre offre ?

Nous cherchons à apporter aux auteurs, aux lecteurs et aux éditeurs les moyens de profiter pleinement du support numérique. La bande dessinée a toujours su assimiler les nouveaux formats de publication (autographie, presse, illustrés, livres, …) avec lesquels elle est née. Le numérique ne doit pas faire exception. Notre offre réuni des outils et une expertise au service de la création. Internet nous entoure aujourd’hui totalement, on peut y accéder par une multitude de moyens, c’est pourquoi nous n’envisageons pas une autre forme de diffusion numérique.

Quelle cible visez-vous (âge, CSP, lecteur de BD papier, technophiles, etc.) ?

La bande dessinée n’a pas de cible privilégiée et le support numérique offre l’opportunité de toucher un public encore plus large, nous nous adressons à tous les internautes.

CONTENU

Combien de titres complets comptez-vous dans votre catalogue ?

Il n’y a aucune raison pour que les éditeurs ne finissent pas un jour par autoriser la diffusion numérique de la totalité de leur catalogue. Progressivement éditeurs et auteurs prendront conscience que c’est sur Internet que se joue la réussite d’un titre. Internet deviendra à l’album de bande dessinée ce que la scène est à l’enregistrement musical. Les lecteurs collectionneront toujours de prestigieux albums de bande dessinée, ils en offriront toujours autour d’eux, d’autant plus après les avoir découvert en direct par le biais du support numérique.

Combien de titres en preview simple ?

La preview ne nous paraît pas pertinente. Dès lors qu’une alternative gratuite existe de lire de la bande dessinée, même de moindre qualité, le public perd tout attrait pour l’alternative payante. Le lecteur s’orientera spontanément vers les solutions qui lui permettent de lire des récits entiers gratuitement ou à moindre frais (par exemple au travers d’un abonnement). Si Internet devient le premier vecteur de découverte des bandes dessinées, alors il faut les diffuser en intégralité pour rester compétitif. Les lecteurs peuvent lire les albums dans leur intégralité dans les rayons des libraires. C’est même devenu un argument de vente pour des enseignes telles que la Fnac. Les libraires savent bien qu’un lecteur qui a aimé une BD voudra la conserver ou l’offrir autour de lui. Toutes les études récentes sur les pirates de musiques ou de films vont en ce sens : même la consommation illégale de produits culturels gratuits débouche sur une consommation accrue de produits payants. Quel risque y a-t-il à offrir aux lecteurs les moyens de faire un choix éclairé au moment d’enrichir leur collection ?

N’oublions pas que les lecteurs achètent et achèteront de plus en plus leurs albums sur Internet, il est important de leur offrir un moyen de lire ces albums avant l’achat tout comme le font les libraires traditionnels.

Quant aux oeuvres numériques originales, l’accès au récit complet est tout aussi difficile à monnayer que pour une adaptation. Or la valeur d’une bande dessinée numérique réside bien souvent dans la relations particulières qu’elle permet de nouer entre l’auteur et son public. En offrant à tous la totalité du récit (plutôt qu’un extrait), on multiplie les chances de rencontre entre l’oeuvre et des lecteurs prêts à payer pour une relation privilégiée. Faire partie de ceux qui peuvent lire et commenter les planches avant leur publication officielle, dialoguer avec l’auteur et contribuer financièrement à la poursuite du récit, voilà une belle gratification qu’un lecteur peut attendre d’une BD numérique.

D’autres modèles sont concevables dans lesquels la preview peut être conçue dès le départ comme un moment particulier du récit. Il revient avant tout aux auteurs (et aux éditeurs qui les accompagnent) d’apporter leurs récits, leurs idées et leurs envies. Quels qu’ils soient, nous sommes à leur disposition pour chercher avec eux les solutions qui s’accordent le mieux avec leurs créations.

Combien de titres mettrez-vous à disposition au cours du prochain trimestre ?

Tout dépendra des éditeurs et de leur désir d’investir le support numérique.

Combien d’exclusivités proposez-vous ? De quelle nature (exclusivité de type avant-première, exclusivité totale, création spécifique pour le numérique…) ?

Nous ne sommes pas dans une démarche d’exclusivité, car cela n’est pas dans l’intérêt des lecteurs. Chacun – lecteur, auteur et éditeur – doit pouvoir opter pour les services avec lesquels il se sent le plus à l’aise, indépendamment des oeuvres qui l’intéressent.

Proposez-vous des bonus à vos BD numériques ? Si oui, quels types de bonus et sur combien de titres ?

C’est aux auteurs et aux éditeurs de mettre en place des stratégies pour tirer parti du support numérique. Celui-ci se prête effectivement très bien à la création d’un tissu de liens vers divers bonus, contenus annexes, alternatifs ou additionnels. Nous sommes à leur écoute pour les accompagner dans leurs démarches.

Votre service offre-t-il une dimension communautaire (vote, listes personnelles, commentaires…) ?

C’est un impératif : permettre aux auteurs, aux éditeurs et aux lecteurs d’échanger autour des oeuvres et de relayer leurs échanges sur les réseaux sociaux et autres sites communautaires qu’ils affectionnent. Les lecteurs doivent pouvoir partager leurs découvertes entre eux et à travers des interfaces de suggestions personnalisées. Nous ne concevons pas une bande dessinée numérique qui ne serait pas pleinement ouverte sur la dimension communautaire qu’offre Internet.

Diffusez-vous des BD en une autre langue que le français ?

Internet est un outil de communication international, ne pas en profiter pour faire rayonner la bande dessinée francophone à l’étranger serait aberrant. Pour autant, cela demande un gros investissement pour traduire les contenus qui ne l’ont pas été pour l’édition papier. Lorsqu’il n’y a rien à vendre (un album, un échange avec l’auteur et ses lecteurs dans la langue concernée), il faut également trouver une autre forme de rentabilité. Pour se faire, il est important de s’adapter aux modèles économiques en vigueur dans chaque périmètre linguistique.

Avez-vous une ligne éditoriale précise ? Un certain genre de BD que vous souhaitez promouvoir ?

Nous ne sommes pas un éditeur et à ce titre nous n’exerçons pas de choix éditoriaux.

Diffusez-vous tous les titres que l’on vous propose ? Mettez-vous des restrictions à certains genres (érotique…) ?

Dès lors qu’un éditeur vient nous trouver avec des oeuvres à publier sur Internet, nous sommes à sa disposition. L’éditeur est pour nous le garant que les auteurs qu’il édite sont dans une démarche professionnelle tant en termes de qualités des oeuvres que de juste rétribution pour le travail des artistes. Pour autant nous ne négligeons pas les auteurs indépendants (autoédités) ni les communautés plus ou moins informelles qui les regroupent sur Internet. Nos outils sont à leur disposition dans la mesure où ils acceptent d’assumer les coûts techniques et humains afférents, que ce soit en acceptant des affichages publicitaires, une participation financière ou une co-production de notre part si leur projet nous séduit.

Internet mêle d’ores-et-déjà des oeuvres de qualité très hétérogène. Ce n’est pas à nous, prestataire technique et de conseil, d’opérer un tri. Les lecteurs, grâce aux outils communautaires et à l’éclairage de la presse spécialisé, sont en mesure de faire le tri par eux-même pour trouver les lectures qu’ils attendent.

TECHNIQUE

Sur quelle plateforme peut-on lire vos BD numériques ?

Les bandes dessinées numériques que nous diffusons sont disponibles depuis tout terminal d’accès à Internet, y compris les terminaux mobiles pour lesquels des interfaces particulières ont été conçues. Le format web est le format numérique le plus partagé entre les terminaux numériques : nul besoin de passer par des boutiques d’applications propriétaires ou des formats exotiques.

Envisagez-vous une diffusion sur d’autres supports (tablette grand format, télévision…) ?

C’est inutile, tous les appareils numériques deviennent progressivement des points d’accès à Internet. Nous devons simplement faire en sorte que nos pages s’affichent confortablement sur cette myriade de terminaux.

Avez-vous un système de lecture automatique des BD (de type animation, zoom automatique…) ?

Nous n’avons pas et n’aurons jamais la prétention de définir à la place des auteurs et des éditeurs les formats de leurs publications. On peut aujourd’hui publier sur Internet les créations multimédia les plus débridées. A chacun de se saisir du support numérique suivant sa conception et ses compétences. Notre compétence technique est à la disposition des artistes et de leurs éditeurs afin de les y aider, en fonction de leurs aspirations et de leurs envies, ni plus ni moins.

Vos BD numériques sont-elles protégées contre le piratage ? Si oui, comment ?

Dans le cas d’un album papier, le piratage numérique n’est pas une menace car il ne permet pas une reproduction conforme de l’oeuvre originale. Notre plateforme offre un confort d’accès tel pour un coût si modique que le piratage perd tout son sens. Quand bien même nous diffusons des BD numériques sur abonnement ou accompagnées de publicité, cela revient pour le lecteur à s’acquitter d’une forme de « licence globale » avec la garantie que nous la redistribuons au plus près de l’audience réservée à chaque oeuvre. Si le lecteur ne s’acquitte pas de cette licence, c’est qu’il n’en a pas les moyens, à quoi bon l’accabler ? Le piratage est en fait un vecteur de diffusion supplémentaire pour promouvoir notre service et les oeuvres qu’on y trouvent.

COMMERCIALISATION

Votre service est-il disponible sur l’AppStore ?

Inutile puisque nos pages sont optimisées pour la consultation web sur iPhone online et offline.

Avez-vous votre propre boutique (si oui, donnez le lien) ?

Il n’est pas question de vitrine, mais d’une grande bibliothèque ouverte et peuplée d’autres passionnés avec lesquels échanger. On y fait le choix de sortir son porte-monnaie en connaissance de cause et pas sur la base d’un descriptif produit. Enfin, on n’y achète pas des biens ou des produits, mais l’accès à des oeuvres par nature mouvantes et parfois éphémères.

Permettez-vous la location à durée déterminée ?

Un abonnement peut être interrompu à tout moment.

Permettez-vous la lecture en ligne ?

Oui

Permettez-vous la lecture hors ligne ?

Oui

Quelle est la fourchette de prix de vos BD ?

Les tarifications des abonnements ne sont pas applicables à l’unité, en dehors des souscriptions de soutien à la création d’une oeuvre qui varient en fonction du nombre de souscripteurs et de l’envergure du travail que cela représente pour les auteurs.

Proposez-vous une formule d’abonnement ? Comptez-vous en mettre une en place ?

L’abonnement est la pierre angulaire de notre service. Internet offre à la bande dessinée l’opportunité de renouer avec les modes de publication qui l’ont popularisée dans la presse et le magazine.

PARTENAIRES

Avec quels éditeurs travaillez-vous ?

Quels éditeurs aujourd’hui sont prêts à accepter une diffusion gratuite ou sur abonnement de leur fond ?

Avec quels autres éditeurs allez-vous travailler ?

Le maximum possible.

Collaborez-vous avec des opérateurs de téléphonie ? Si oui, lesquels et sous quelle forme ?

Nous cherchons à être présent sur les portails web mobile des principaux opérateurs.

Collaborez-vous avec des librairies classiques ? si oui, lesquelles et sous quelle forme ?

La relation privilégiée que nous mettons en valeur entre les lecteurs et les auteurs à travers la diffusion numérique des oeuvres trouve son aboutissement dans les librairies où des rencontres physiques sont organisées. Les libraires ont un rôle majeur à jouer. Ils ont longtemps été là pour permettre la rencontre des oeuvres avec le public. Si ce rôle leur échappe en partie aujourd’hui à cause du développement de la vente en ligne, c’est pour être remplacé par celui de faire se rencontrer des auteurs et des lecteurs. Nous encourageons également les libraires à participer activement à la communauté qui contribue à aider chacun à trouver lectures à son pied.

PERSPECTIVE

Combien de téléchargements payants avez-vous déjà enregistrés (si possible, distinguez les téléchargements sur mobile et ceux sur PC) ?

Le téléchargement payant n’est pas dans nos objectifs.

Quel est votre objectif en termes de téléchargements à six mois ou un an ?

Nul. En revanche, quelques milliers d’abonnés constitueraient une audience honorable et assureraient sans aucun doute notre pérennité.

Comment comptez-vous évaluer les attentes des lecteurs/acheteurs ? Leurs retours ?

La priorité donnée à la dimension communautaire nous assure une proximité privilégiée avec les lecteurs. Toutes leurs réactions, leurs idées ou même leurs déceptions seront prises en comptes. Notre blog constitue le vecteur idéal pour expliquer nos choix et recueillir les réactions des lecteurs.