N’ayant pas connu de conflit sur son sol depuis plusieurs générations, l’Europe peine à trouver des réponses satisfaisantes à la « crise des migrants » engendrée par la situation dégradée au Moyen-Orient. Le citoyen européen a tendance à n’appréhender la figure du migrant qu’à partir de sa propre position d’accueillant. Retrouver le sens de
l’hospitalité est déjà une gageure pour la société occidentale, qui ignore tout de la déchirure identitaire qui est celle du migrant.

Quitter son pays parce qu’on a été témoin des pires atrocités et parce qu’y échapper est une question de survie, telle est la réalité de celles et ceux que les journaux télévisés nous dépeignent comme des miséreux attirés par l’eldorado européen. La majorité des migrants qui convergent vers les États européens sont au contraire instruits (ingénieurs, médecins, enseignants, etc.) et ils disposent des moyens matériels et intellectuels pour s’arracher d’une terre devenue trop dangereuse pour eux et leur famille. Face à cette forme de renoncement, ils n’ont pas seulement besoin de trouver des conditions de vie matérielle décentes, mais surtout d’un accompagnement dans la douloureuse reconstruction identitaire qui les attend.

Toutefois, rares sont les anciens migrants qui témoignent ouvertement de leur déchirure. Seules quelques études de terrain ont permis d’appréhender ces problématiques à très petite échelle, après un long travail d’enquête en immersion auprès des familles. Et force est de constater que ce sont généralement les témoignages artistiques (romans, films, théâtre…), qui mettent le mieux en lumière la réalité intérieure du migrant.

L’Office International des Migrations organise depuis cinq ans un festival de films réalisés sur smartphone. En septembre 2015 c’est un film sur un réfugié syrien qui a gagné le prix.
International Organization for Migration/Flickr, CC BY-NC-ND

Au cours du colloque des 14-15 et 16 octobre intitulé « Déplacements et publics » qui a eu lieu à l’Institut européen du cinéma et de l’audiovisuel, organisé par le Centre de recherche sur les médiations, a été également constaté l’importance du discours dissuasif d’individus qui ont vécu la migration. « Ne partez pas », semblaient-ils dire à ceux qui pourtant n’ont pas d’autre alternative à une douloureuse expatriation.

La lancinante question culturelle

La littérature comme le cinéma de ces auteurs témoignent des difficultés d’intégration, mais aussi des conséquences de l’éloignement. Le migrant souffre d’isolement et de déchirure identitaire . Plongé dans une culture autre, il tente de combler la distance culturelle du pays d’immigration et de favoriser son intégration, mais peut difficilement le faire sans se dépouiller de traditions ou d’éléments culturels propres à son pays d’origine.

Tenter de préserver la culture originelle en se tournant vers la communauté de compatriotes expatriés constituée sur place est un nouveau facteur de discrimination, qui renforce encore le sentiment d’expatriation et de renonciation identitaire . Pire encore, avec le temps, sa patrie et sa culture d’origine lui deviennent étrangères : plus le temps passe, plus la représentation qu’il s’en fait s’éloigne de la réalité.

S’il fait l’expérience du retour, c’est pour se découvrir étranger chez lui : les traditions se sont perdues, ou elles n’ont pas évolué comme il l’aurait espéré. Si, à l’inverse, son désir de retour ne peut se réaliser, il souffre de culpabilité d’avoir abandonné sa patrie et négligé sa culture : car, beaucoup d’expatriés, qui avaient fui la guerre ou la famine avec l’espoir de rentrer, y ont renoncé, tantôt par souci de préserver les nouvelles attaches culturelles et affectives des enfants, qui ont grandi et fondé une famille dans le pays d’accueil, tantôt par incapacité à se réadapter aux évolutions culturelles de sa patrie. Ainsi, étranger dans son pays d’accueil, il l’est aussi dans son pays d’origine.

Rasande Tyskar/Flickr, CC BY-NC

La pratique artistique comme thérapie

Les arts et la culture permettent, de la sorte, une distance précieuse sur ce que vivent les migrants d’aujourd’hui, et sur ce qu’ils devront affronter dans les années à venir. Ce recul pousse à plaider pour une prise en compte rapide des traumas et des blessures psychologiques, et des problématiques liées à l’adaptation culturelle. L’acquisition de la langue du pays d’accueil est une priorité, tout comme la scolarisation des enfants.

La reconnaissance des qualités intellectuelles et des qualifications professionnelles de ces hôtes est tout aussi importante pour leur permettre de retrouver les bases d’une identité. C’est le moins que les citoyens de tous pays puissent faire pour ces enfants, ces femmes et ces hommes, contraints à faire des efforts immenses pour s’accorder à « nous, nos cultures et nos sociétés ».

À ces défis, s’ajoute celui de panser les plaies. Léna Saadé Gebran (université de Kaslik, Liban) a présenté les résultats d’une expérience de dramathérapie conduite avec une vingtaine de migrants libanais. Tous avaient vécu la disparition de leurs proches, parfois torturés et mis à mort sous leurs yeux. Au travers de la création collective d’une pièce de théâtre qui entremêlait fiction et fragments des expériences de chacun, ils ont pu quitter le statut de victime pour celui d’acteur.

Ainsi, en aidant à exprimer l’indicible, les pratiques artistiques pourraient bien constituer l’un des principaux moyens thérapeutiques dans le cadre d’un accompagnement psychologique des migrations contemporaines.

Sylvie Thiéblemont, Professeur des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication (CREM) et Laurence Denooz, Professeur des Universités en Culture et littérature arabes (CREM) à l’Université de Lorraine ont collaboré à cet article

The Conversation

Julien Falgas, Chercheur associé au Centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.