Par Everland
L’un des dessinateurs phares de l’association des BDAmateurs s’est aimablement prêté au jeu de l’interview. L’occasion de revenir sur son travail amateur alors même qu’il aborde le tournant du professionnalisme…
Ton parcours est atypique… Comment, après des études d’ingénieur se retrouve-t-on un pinceau à la main ?
Vaste question. Il m’est difficile de parler de ça. C’est un peu comme si une chenille devait expliquer comment elle s’y prend pour devenir papillon. Il y a eu de nombreux éléments qui ont concouru à ce revirement, mais l’envie de dessiner a été présente très tôt. En prépa en fait. Assez tard quoi. A la fin de ma prépa, j’avais vraiment envie de faire les beaux arts, mais je me suis autocensuré en me disant, « ce n’est pas raisonnable ». Et puis, comment savoir si cette envie saugrenue ne cachait pas tout simplement ma peur d’affronter les concours ! Bref, j’ai fait mes études d’ingé comme tout le monde (!!), bien sagement, sans déborder et tout et tout. L’envie de créer était toujours là naturellement, et ne m’a pas lâché comme ça, heureusement ! J’ai également fait la rencontre de gens extraordinaires, qui m’ont poussé à agir, et m’ont fait prendre conscience de ce qui se passait dans mes dessins. J’ai encore du mal à comprendre comment c’est possible, mais ce sont des « regardeurs », comme on dit, qui m’ont révélé ce que j’avais mis dans mes dessins. En les faisant, j’avais bien sûr voulu y mettre quelque chose, mais quoi ? Quant à savoir si » ça » y était… J’espérais bien sûr que ça parlait, mais je ne savais pas si on pouvait comprendre. De mon côté, j’avais de plus en plus de mal à me supporter. Je me trouvais lâche de ne pas oser franchir le pas. S’ajoute à ça, bien des rebondissements (sur lesquels je passe) et des heures de tortures privées. Et hop, un dessinateur tout neuf.. Avec le recul, j’ai le sentiment que de nombreuses forces ont travaillé imperceptiblement en moi pour aboutir à un point de dénouement, et m’orienter vers une autre voie. C’est vraiment étrange, comme si mon désir de créer avait finalement pris corps dans la réalité.
Paysage sans fin d’un côté (e-landscapes) , figures complexes et torturées de l’autre (encastrements et arbres) la gestion de l’espace visuel semble être l’une de tes préoccupations dominantes ?
Houla !!. « Gestion de l’espace visuel ». Je ne crois pas. Pour les paysages, j’ai cherché à dessiner » rien » tout en dessinant quelque chose. C’était d’emblée assez tordu, mais je sens bien que c’est ça. En fait je crois que le dessin vrai, est derrière celui que l’on voit. Du moins, ce que je veux » montrer » est derrière. Le paysage est un prétexte, ce qui compte, c’est l’horizon. Si je parviens à vous emmener derrière cet horizon, c’est merveilleux. Une fois quelqu’un, après avoir longuement regardé un dessin, m’a serré la main et m’a dit très gravement » merci pour le voyage « . J’ai pleuré de joie : ) C’est à cause de gens comme ça que je dessine. C’est pas malin de leur part ! ! Pour les encastrements, c’est moins clair. Je ne suis pas très sûr de leur » légitimité « . C’est trop influencé par des travaux comme celui de Giger. Je ne sais pas trop quoi en penser. C’est peut-être un écho de cet état de chrysalide dont je t’ai parlé, je ne sais pas…. Question suivante !!
Tu écris sur ton site ne t’être lancé dans la bande dessinée qu’en 1999. Une découverte récente ?
Oui, je n’en fais que depuis peu. Je savais que je voulais gagner ma vie avec le dessin, mais je ne savais vraiment pas comment. La pub ? l’illustration ? les livres pour enfants (et oui ! !), la bd ? J’ai fait ma première BD pour le festival d’Angoulême 2000, la deuxième pour Bordeaux… et de fil en aiguille, j’ai monté un projet avec un scénariste de BD. Je crois que c’est ce qui colle le mieux avec ce que je voulais faire. Je n’ai pas la prétention de faire de l’Art. J’ai envie de dessiner, pour le moment c’est ce qui compte, et si je peux dire des choses intéressantes avec la BD, je serai très content. D’ailleurs avec la BD, j’ai découvert un tas de choses, et notamment que je ne savais pas faire un cadrage, des personnages …etc.… En fait je ne savais pas dessiner » comme en BD « . Il y a vraiment de nombreuses façons de faire une image. D’ailleurs depuis que je fais de la BD, j’ai vraiment la sensation qu’une partie de moi est en sommeil. Sans doute celle qui me poussait à dessiner auparavant. C’est vraiment différent maintenant, mais je ne compte pas oublier ce qui pour moi est essentiel. Dessiner n’est au fond qu’un moyen parmi tant d’autres.
Tu parais très fidèle au noir et blanc, par contre, les techniques employées sont assez variables… Doit-on y voir un besoin de varier les plaisirs ?
La couleur m’a longtemps fait peur, et me fait encore peur, ce qui fait que j’ai eu du mal à m’y mettre. Ca a commencé à se décoincer il y a peu, et puis je me suis mis à la BD… donc retour à la case départ, je ne fait presque plus que ça. Ceci dit, les BD qui me fascinent le plus sont effectivement celles qui travaillent le noir et blanc. Alberto Breccia, Comes, et bien d’autres sont des références pour moi. Le fait que les techniques soient variées (je n’ai pas encore fait deux bd avec la même : )) est essentiellement dû au fait que je me cherche. Mais tu as raison, l’envie de varier les plaisirs est très importante. Je n’ai pas quitté l’industrie pour y retourner, ce serait trop bête : ).
Une chose ne change pas ou peu, en tout cas, c’est l’atmosphère de tes histoires : Tu nous entraînes toujours dans un univers un brin décalé, emminement poétique… et les scénarios ne semblent pas te poser de problème… Rassure nous, il y a bien des domaines dans lesquels tu te sens moins à l’aise ?
Comme tu y vas !! bien sûr…. la nage papillon par exemple, je suis nul !! Oui, il y a bien sûr des tas de choses qui me posent problème, et je pense même que c’est assez flagrant sur mes planches. Par exemple mes personnages sont raides et manquent cruellement de vie. J’ai eu la Chance de rencontrer Guillaume Sorel sur un festival, et la première chose qu’il m’ait dite est que mes personnages « n’étaient pas dans leur rôle ». En général, je suis assez crispé sur le dessin, ce qui se ressent très fortement. J’ai peur de « rater » et ça fout tout en l’air. J’imagine qu’avec le temps, l’assurance venant, j’arriverai à lâcher prise. Mais encore une fois, je crois que ce n’est pas qu’une question de technique, il va falloir que je change réellement si je veux parvenir à cela. En fait, je suis assez jaloux des gens qui sont capables de se lancer sans se poser de questions, avec un magnifique « on verra bien » à la place des angoisses.
Pour ce qui est des scénarios, c’est vrai qu’ils sont un peu « partis ». Ce n’est pas vraiment volontaire, c’est toujours ce genre d’histoire qui me vient à l’idée. C’est peut-être aussi dû au fait que la plupart me sont venues en dormant. Mes rêves me servent beaucoup, et il m’arrive de me lever la nuit et d’écrire.(heureusement, pas trop souvent : )). Je ne raconte pas mes rêves tels quels, ça n’aurait pas grand intérêt, mais j’y puise le matériau de mes histoires. Mais je pense que ce qui est profondémment à la source de ce « décalage », c’est un besoin très fort de liberté. Pour « ensevelir » par exemple, je voulais montrer la transformation profonde d’un homme qui se trouve confronté à ses propres limites. Dans la BD il se transforme réellement, mais ce n’est bien sûr qu’une image (dans tous les sens du terme). Un peu comme les « Rhinocéros » de Ionesco. C’est peut-être aussi par facilité, il doit certainement y avoir des moyens plus subtils de montrer la transformation. Mais pour le moment, la fascination pour le fantastique est encore trop forte pour que je m’en détache. Et après tout la mythologie grecque est pleine d’histoires « décalées ». Des types qui volent vers le soleil ou qui s’enfoncent dans des labyrinthes accroché à un fil…. C’est irréel, mais seulement d’un certain point de vue… enfin, je ne vais pas trop me lancer sur ce terrain, je risquerais de dire des conneries. (c’est déja fait ??)
Quelles sont les dessinateurs qui t’inspirent le plus ? As-tu des modèles ?
Oui !! Et c’est un vrai problème. Parceque si des auteurs vous portent un moment, ils finissent forcément, à un momnet ou à un autre, par devenir encombrants. Je crois que je vais ici faire preuve d’une très grande originalité en citant Moëbius, Bilal, Bourgeon, Bisley, Adamov,Caza, Sorel, Otomo…etc…. Il y a bien sûr aussi des illustrateurs tels que Siudmak, Frazetta, ou Brom…. des peintres comme Dali, Max Ernst et pas mal de surréalistes, les symbolistes aussi…. Giger que j’ai cité plus haut, et qui a vraiment une emprise trop puissante à mon goût sur moi. Disons que ce sont les premières influences, celles qui m’ont vraiment donné envie de dessiner. C’est assez différent maintenant, je m’intéresse beaucoup plus à des productions plus « marginales ». Des gens comme Baudoin, Levallois, Sergio Toppi, Breccia, Miller (pas vraiment marginaux ceux là ; ))… ont vraiment des graphismes qui me fascinent. Le dessin réaliste m’intéresse beaucoup moins qu’auparavant. Et comme j’ai toujours un train de retard sur mes désirs (serait-ce notre lot commun?), je me retrouve avec un dessin plutôt réaliste, et pas vraiment original, ce qui m’énerve au plus haut point !! Bref, je ne suis pas content de mes travaux ; )
En visitant ton site, on observe surtout des dessins soignés, méticuleusement réalisés, des bandes dessinées qui laissent apparaître une véritable réflexion tant sur le plan du scénario que de la mise en page… finalement c’est assez rare sur le net ! Là où la plupart des dessinateurs ont besoin de produire vite et de produire beaucoup, Eric Henninot se démarquerait-il par sa patience ?
Tu touches un point sensible. Ce n’est pas la patience, mais le perfectionnisme qui me pousse à soigner mes dessins. En fait, c’est précisemment cela qui me pose problème. La formation scientifique n’arrange rien. C’est un lieu commun, mais c’est aussi une réalité, j’ai un esprit salement cartésien. Ca a des avantages, car je réfléchi pas mal avant de dessiner, et j’essaye de rendre les choses les plus cohérentes possibles. Mais l’énorme inconvénient est encore une fois cette raideur et cette crispation qui découlent de mon désir de « bien faire ». A mon avis, c’est une sérieuse entrave à la créativité. D’ailleurs, j’ai compris il y a peu de temps à quel point mon dessin se construisait contre cet esprit cartésien. C’est un peu comme si ma formation scientifique était le symbole de ce que j’étais et le dessin, le symbole de ce que je veux devenir. C’est assez amusant de voir comment ce qui se joue à l’intérieur peut prendre forme en surface.
Parlons un peu de ce que tu vas faire maintenant… As-tu des projets, des réalisations en cours ?
Oui, Avec JS Kneip, qui fait aussi parti des BDa, nous avons monté un projet de BD de SF. Le projet a été accepté chez Pointe Noire (qui éditent Eric Liberge et son « Mardi-Gras Descendres » ) que JS connaissait déja. D’ailleurs, j’ai un tuyau pour les dessinateurs qui veulent se lancer : appatez un scénariste qui a déja un pied chez un éditeur, et mettez le paquet !! JS si tu me lis : sans rancune ; )). Bon, c’est pas un scoop, mais c’est vrai que c’est plus facile quand l’un des deux à déja des contacts. En dehors du fait que JS connaissait Pointe Noire, nous avions tous les deux envie de travailler avec eux. Ce n’est pas encore une grosse boîte d’édition, et je pense que nous trouverons chez eux l’appui et le suivi dont des débutants comme nous ont besoin. Sinon, François Maingoval (scénariste d’Ada Enigma chez Glénat) m’a aussi contacté, mais je crois qu’il est trop occupé pour le moment ; )) François, si tu me lis : j’attends ton scénar ; ). J’ai aussi des tas d’histoires en tête, et un projet qui me tient vraiment à coeur avec un autre scénariste : Hervé Gouault. Il a un « univers » et des préoccupations qui sont assez proches des miennes, et puis je l’aime bien tout court, ce qui me suffit pour avoir envie de bosser avec lui : ). Faudra aussi que j’arrive à caser mon travail personnel. Je crois que je ne suis pas près de m’ennuyer !!