shaker-titre.gifDans le petit monde de la BD en ligne, Fred Boot fait figure de « vieux de la vieille », comme en témoigne sa webographie. Là où nombre de précurseurs de la BD en ligne francophone ont jeté l’éponge face à la nécessité de gagner leur croûte, Fred Boot continue d’explorer sans concession ni compromission le potentiel de la BD numérique. Il inaugurera demain un feuilleton d’espionnage :  »The Shakers ».

Jonglant entre « boulot qui paie » et sa future paternité, ce qui motive Fred à poursuivre la BD c’est la passion et le besoin de raconter. Dans The Shakers, pas d’expérimentation interactive comme Moon ou Tony, mais une approche « rich media au sens où l’entend Alain Joannès« . Entendez par là que la bande dessinée est associée à d’autres médias (texte, musique, illustration) sans leur disputer la vedette ni chercher à réaliser leur fusion. L’internaute s’adapte d’autant plus rapidement à cette forme narrative qu’il y retrouve ses marques à travers les codes propres à chaque média. La question pour Fred n’est pas d’inventer un nouveau média au confluent de tous les autres, mais d’imaginer comment raconter dans le passage entre bande dessinée et autres médias. En somme, une démarche humble, empirique et efficace. Si le récit en bande dessinée s’élabore dans l’espace inter-iconique, le récit en BD en ligne chez Fred Boot serait à chercher dans l’espace « intermédiatique ».

shaker-ferrari.jpgLe style graphique de Fred Boot est du même tonneau que son style narratif : taillé à la serpe, à la fois lisible, référencé et personnel. Les masses aux couleurs vives prennent le pas sur les lignes, les aplats numériques se dotent d’un grain que la compression JPEG ne parvient pas à ternir, au contraire. On navigue entre l’emphase du cartoon et une iconographie polissée qui semble sortie de quelque affiche des années 1950. Les textes perpétuent cet étrange univers d’apparence désuette dans lequel aurait fait irruption notre langue du XXIe siècle. Rien d’étonnant pour un récit qui ressuscite le feuilleton : un genre populaire un peu oublié des francophones, que les modalités de publication web remettent pleinement au goût du jour.

Comment est né cette série ? Retour sur la carrière d’un auteur français, expatrié à Hong Kong.

Nouvelle manga digitale : la bande dessinée multimédia

shakers-shooter.pngAlors que l’explosion de la bulle Internet venait de ruiner les espoirs des tenants d’une « BD interactive », et avant la déferlante des blogs BD – entre janvier 2002 et janvier 2005 – Fred Boot a publié une demi-douzaine de « nouvelles manga digitales » (NMD). Certaines en adaptant l’oeuvre de Frédéric Boilet, d’autres plus personnelles. La lecture de ces oeuvres multimédia est salutaire, à l’heure où nous sommes innondés de tentatives maladroites de transposer des bandes dessinées papier à l’écran. Fred Boot démontre qu’il y avait matière à s’affranchir des codes de la bande dessinée traditionnelle sans renier leur héritage. Il démontre aussi quelle part l’artiste doit jouer dans ce glissement, en ne s’en remettant pas à des informaticiens, des techniciens ou des commerciaux pour formater la narration sur écran.

Flashback : le texte que je consacrais à la NMD Chuban en novembre 2004.

Aujourd’hui, Fred semble avoir tourné la page du multimédia comme il en témoigne sur son blog :

L’erreur du passé était de croire qu’on créait un sentiment d’immersion en ajoutant des interactions au clic, des animations et des sons sur des cases répondant à des codes traditionnels. C’était se planter totalement, et reléguer le numérique à une addition de domaines plutôt qu’à une exploration de ce qui est à la croisée des arts.

Retour aux sources : Gordo

Fred a nourri des propos très durs à l’égard de la mode des blogs BD. Vu de Hong-Kong, voici sa vision d’un phénomène très franco-belge :

D’un côté des gens qui n’ont rien à raconter et qui le racontent mal (en plus), de l’autre des gens pourtant saturés de bédés mais qui en redemandent (et gratuites si possible). Dans cette frénésie où les commentaires font offices d’audimat, où l’auteur sert sa soupe alors qu’aucune contrainte commerciale ou politique ne lui impose de faire de la merde, j’ai tout de même parfois du mal à trépigner de joie, à me dire que voilà une jolie alternative et que l’avenir de la bédé est radieux, allélouia oh yeah.

Je laisse cela à d’autres qui sauront certainement mieux tirer leurs épingles du jeux que moi.

Voilà qui explique sans doute pourquoi j’ai perdu sa trace entre 2005 et 2007. Plutôt que de suivre la tendance générale, Fred Boot s’est lancé dans la réalisation de son premier album papier : Gordo. Il a également travaillé sur un projet de série animée : The Shakers

The Shakers

En janvier 2008, Fred Boot rejoint les membres du portail d’hébergement Webcomics.fr avec la ferme volonté d’explorer le potentiel d’une BD en ligne qui échapperait au cadre de l’autofiction. Fred n’en est pas moins très critique vis-à-vis du modèle anglosaxon des webcomics – très libéral – dans lequel l’auteur est un entrepreneur qui s’affranchi des intermédiaires en assumant chacune de leur fonction – y compris les moins artistiques (promotion, monétisation, …). Mais face à un milieu éditorial qui évite soigneusement d’investir dans la création en ligne, Fred tente sa chance en solitaire.

shakers-massage.jpgAprès avoir démarré puis interrompu deux séries (Shaobaibai, Balsamo), Fred Boot décide de planifier les choses pour faire renaître les Shakers. Il travaille son scénario, prépare son matériel à l’avance pour plusieurs épisodes, développe un blog dédié. Lancement le 12 janvier 2010 ! Chaque aventure doit compter 10 épisodes à raison d’un par semaine (Fred Boot m’a permis d’en lire 6 en avant-première). La deuxième aventure se prépare déjà pour une parution de mai à juillet. Fred promet que le blog restera alimenté chaque mardi, même entre deux aventures par un court article sur le vintage, la pop ou les cocktails, ou bien une preview sur la prochaine histoire. A bon entendeur.