Lorsqu’on parle de livre numérique, on regarde beaucoup du côté de la musique. Les entretiens du webjournalisme étaient l’occasion de regarder un peu du côté de la presse et des journalistes – eux-aussi confrontés à la nécessité de raconter autrement à l’ère du numérique.
Morceaux choisis :
J’ai été frappé d’entendre deux intervenantes successives utiliser le verbe « raconter » pour parler de situations assez éloignées du récit traditionnel. Aline Leclerc, journaliste au Monde.fr, a témoigné sur les « live » organisés sur le site du journal. Pour elle ce format instaure un dialogue à l’opposé des articles monolithiques de la presse traditionnelle, les lecteurs en viennent à « vivre l’événement »… Et pourtant Aline Leclerc a spontanément utilisé le verbe « raconter » pour parler du rôle des journalistes dans ces situations. Caroline Goulard, fondatrice d’Actu Visu, a insisté pour sa part sur la position du journaliste face à la profusion de données disponibles : pour elle, le journaliste est en position de « raconter des évènements » et de « raconter le monde » par le choix et la mise en scène des données qu’il présente. Alors qu’on pouvait le croire en danger, de la chaleur de la conversation aux froides bases de données, il semble que le récit ait encore de l’avenir.
L’intervention de Caroline Goulard a permis de rappeler la place prépondérante des données dans notre culture numérique. Or un récit peut tout à fait être mis en base de donnée. Nous l’avions fait avec Donjon Pirate dont la version originale permettait une lecture des planches par personnage mis en scène. Imaginons que les planches des Autres gens soient indexées par personnage, date et lieu… Le lecteur pourrait suivre le flux de vie de chaque personnage, ou bien observer le déroulement de l’histoire sur un globe terrestre. La (re)découverte des archives deviendrait nettement moins indigeste. On pourrait même retrouver d’anciennes planches mettant en scène un même personnage (il y a 6 mois, 1 an…) ou un même lieu. Interpelé à ce sujet, Thomas Cadène ne cache pas son envie, mais les moyens nécessaires semblent pour l’heure hors de portée.
Pour Wilfrid Etseve, issu du photojournalisme, « il n’y a jamais eu autant d’opportunités qu’aujourd’hui de faire mieux en tant que journalistes colportant de l’information visuelle.
» Selon son expérience, à l’opposé de l’information de flux et de l’infobésité, les webdocs, webséries et autres projets éditorialisés transmédia rencontrent un vrai succès d’audience. Le diaporama sonorisé aurait par exemple un certain succès. Après la success story d’une première websérie, Wilfrid Etseve a fondé une boîte de production pour répondre à la demande des ONG. Mais des particuliers participent aussi au financement par le biais de plateformes telles que Kickstarter ou Kisskissbankbank. La preuve que d’autres modèles sont possibles pour qui prend la peine d’intégrer la nouvelle donne numérique.
Mais la presse n’est pas moins frileuse que l’édition et elle souffre des mêmes difficultés à remettre en question sa culture du papier. Pour Erwann Gaucher, consultant, « ce n’est pas aux journalistes d’imaginer le modèle économique.
» Or contrairement à bien des journalistes contraints de s’adapter, les patrons de presse manquent de culture numérique. Ceux qui devraient penser le modèle économique n’ont pas le bagage pour le faire. Du coup, comme dans l’édition, les journalistes (comme les auteurs) ne peuvent pas se concentrer sur l’innovation éditoriale (ou narrative).