La première table ronde de la journée d’étude sur la BD numérique à La Rochelle apportait un éclairage croisé sur les nouveaux modèles économiques de l’ère numérique. J’ai été sensible au discours de François Moreau, économiste, qui a présenté les problématiques de l’industrie de la musique en évitant la tarte à la crème du piratage. Je déduis de son approche que le déplacement de valeur induit par le numérique a remplacé le couple possession/échange par le couple accès/partage.
Si Didier Borg, créateur de Delitoon, a rappelé à juste titre que la musique est un contenu très différent de la bande dessinée, l’approche économique apporte tout de même des enseignements que l’industrie de la BD peine à intégrer. Cette journée a brossé en creux ce que pourrait être le marché de la bande dessinée compte tenu des tendances actuelles.
Pour François Moreau, bien plus qu’au piratage, l’industrie musicale à du faire face a une remise en cause profonde de son modèle économique. Avec le numérique, pour la musique comme pour la BD, il n’est plus envisageable de créer de la valeur par la promotion publicitaire de quelques stars et une distribution centralisée et rémunératrice : désormais la promotion et la distribution sont décentralisées. Apple a su séduire l’industrie musicale avec iTunes en lui faisant miroiter la conservation de son modèle économique. Mais cela n’a fait que prolonger le temps nécessaire pour prendre conscience que la valeur avait glissé de l’objet possédé (un cd, un fichier) vers le support à travers lequel le contenu est accessible (une plateforme de diffusion).
Dans cette optique, l’abonnement ou l’accès gratuit financé par la publicité semblent s’imposer à la musique aussi sûrement qu’ils s’imposent à mes yeux à la bande dessinée. Selon François Moreau on s’oriente à termes vers un abonnement global adossé à l’abonnement Internet comme l’est déjà l’abonnement premium à Deezer chez certains opérateurs. La difficulté pour la bande dessinée est que les artistes vivent directement de la commercialisation de leurs œuvres, alors que les musiciens vivent d’abord de la scène et ne souffrent pas de la baisse de revenus sur les ventes d’albums si elle s’accompagne d’une plus grande visibilité. Pourtant selon Didier Borg, il ne s’agit pas de remplacer le marché du livre mais de le compléter en ouvrant un nouveau marché. C’est dans cette perspective que la mise en place de formules d’accès est pertinente. La surproduction de livres mise en évidence chiffres à l’appui par Françoise Benhamou en ouverture de la journée trouverait une solution dans l’édition numérique couplée à une production plus sélective de livres luxueux.
Reste en suspens la question de la prescription, abordée au cours de la dernière table ronde de la journée. Comment s’y retrouver dans une offre décentralisée sur laquelle la promotion éditoriale n’a plus d’impact ? Dans mon intervention, j’ai développé un propos centré sur les bandes dessinées numériques de création originale, mais il est extensible à un marché de l’accès. Les résultats de l’enquête présentés par Stéphanie Peltier révèle le faible impact des réseaux sociaux sur la recherche d’information BD par des étudiants lecteurs de bande dessinée (papier). En revanche, les blogs ont un impact presque aussi important sur le choix d’albums de bande dessinée (66% des répondants) que le bouche à oreille des amis et de la famille (70%). Or, dans le cas d’une offre numérique accessible à tous, chaque récit n’est plus un album à acheter ou à commander mais une adresse parmi les milliards d’adresses qui composent le web. Dès lors, la prescription peut se traduire par le partage de liens sur les blogs (déjà efficaces pour la prescription de BD), amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux (dont le partage de lien est la spécialité).
Enfin, on peut envisager des solutions pour diversifier la rentabilité de récits qui n’accéderont pas tous à l’édition papier. Nicolas Auray, sociologue, a présenté quatre options déjà explorées avec succès par l’industrie du jeu vidéo et dont la transposition reste à imaginer pour la bande dessinée :
- La rareté artificielle de contenus exclusifs que l’on achète pour les afficher (sur son avatar par exemple).
- Les micro transactions qui permettent de vendre des micro-contenus au sein d’un jeu distribué gratuitement.
- La personnalisation ou la coproduction par l’utilisateur.
- L’ubiquité : le contenu sur tous supports en temps réel.
Lire aussi :
- Le compte rendu de Eric Leguay
- Le compte rendu de Didizuka : (1)(2)(3)(4)