Dans le prolongement de ma participation à la conférence internationale Fake News : Concept, Méthode et Lutte organisée par l’Université d’Avignon en juin 2021, je signe une chapitre dans l’ouvrage Comprendre discerner et réguler les fake news paru aux Presse Universitaires d’Aix-Marseille sous la direction de Benjamin W.L. Derhy. Ce chapitre synthétise et consolide ma communication du même nom et ma contribution à la table ronde Comment lutter contre les « fake news ».
Résumé
L’évolution de nos modes d’information sous la férule de grands infomédiaires tels que Google ou Facebook apparaît comme une cause majeure de la prolifération d’informations trompeuses ou mensongères. Cependant, la stratégie commune de « lutte contre les fake news » s’appuie sur trois leviers : la régulation des plateformes, le développement d’outils informatiques et l’éducation aux médias et à l’information. Une telle approche accrédite l’idée que le numérique serait inéluctable, « déjà là » et qu’il convient de s’y adapter pour tirer le meilleur de la technologie sans interroger ses implications politiques.
La responsabilité du monde académique consisterait pourtant à développer et promouvoir d’autres modes d’accès et de partage des informations. Or, nos institutions universitaires oscillent entre neutralité bienveillante et fascination pour les produits des GAFAM. Les unités de recherche de Sciences humaines et sociales manquent de moyens d’ingénierie pour développer et expérimenter des dispositifs différents : ces moyens sont concentrés dans les unités de sciences du numérique qui ne sont pourtant pas à l’origine de l’arsenal critique échafaudé par les Sciences de l’information et de la communication au cours des dernières années (Robert, 2016 et 2020 ; Simonnot, 2016 ; Badouard, 2017 ; Ertzscheid, 2017 ; Smyrnaios, 2017 ; Miège, 2017). Dans ces conditions, nous nous cantonnons souvent à traiter les données de seconde main, issues des grandes plateformes, contribuant ainsi à les légitimer.
Une telle situation fait le jeu du creusement des inégalités puisque l’information de qualité n’est accessible qu’à une fraction de la population jouissant d’un capital culturel et économique. Cela entretient la défiance envers les universitaires et les journalistes et l’attrait pour la « ré-information ». Si la lutte contre les fake news contribue à maintenir le statu quo sur les causes profondes de l’apparition du phénomène, cette lutte est-elle la bonne ?
Dans cette situation, le projet needle constitue une expérience de rupture : développer un dispositif alternatif d’accès et de partage de contenus. Cette recherche-action contribue à interroger les usages, les choix de conception et l’environnement économique dans le cadre desquels prolifèrent les fake news.
Le projet a donné lieu à un prototype qui a confirmé un certain nombre d’hypothèses tout en soulevant un problème central : celui de l’expérience utilisateur. En effet, la propension de Google et Facebook à favoriser la recrudescence et la diffusion de fausses informations découle directement de leur modèle économique fondé sur le ciblage publicitaire à haute fréquence. De ce fait, leur interface et l’expérience proposée à l’utilisateur sont orientées vers la captation de l’attention et des données qui en découlent. D’où la nécessité d’imaginer d’autres interfaces et d’autres expériences. C’est le chantier qui a occupé durant 6 mois un groupe de 4 élèves en certification UX de l’école des Gobelins.
Parallèlement, un autre chantier nous occupe : bâtir un modèle d’affaire alternatif lui aussi. Pour que needle puisse « sortir du laboratoire », il convient d’identifier un environnement viable. Le monde de la presse en ligne, particulièrement mis à mal par les géants du numérique, constitue une piste. La difficulté réside cependant dans l’atomisation de cet environnement, ses faibles moyens financiers et la tendance des acteurs tournés vers la production de contenu « de qualité » à enfermer le lectorat derrière des paywalls au détriment de son ouverture à des sources complémentaires.
Nous poursuivons l’hypothèse selon laquelle les médias gagneraient en authenticité et en fécondité s’ils constituaient leurs contenus en lieux de rencontre et de découverte pour leurs publics, tout en rendant observable l’adhésion de ces derniers et – à termes – d’évaluer les sujets qui les préoccupent.