De la science sur écran ? Allumez donc Internet. Alors que la vénérable émission C’est Pas Sorcier fait son retour sur le web (sous le nom de Esprit Sorcier), le CNRS diversifie ses investissements audiovisuels et prépare sa propre chaîne vidéo en ligne. Le web de l’audiovisuel scientifique se structure, après qu’une poignée de YouTubeurs ont ouvert la voie. Le quatrième rendez-vous Science & You a été l’occasion de confronter le regard de plusieurs acteurs du petit monde de la vidéo scientifique.

Un média peu soucieux de la culture scientifique

Professeur documentaliste, Sandrine Philippe a consacré son mémoire de fin d’études à la place de YouTube dans le CDI. La soixantaine de collégiens et lycéens qu’elle a rencontrés en entretiens est unanime : pour regarder des vidéos sur Internet, YouTube est le point d’entrée principal. Voilà qui corrobore l’idée que Google se constitue en entonnoir des pratiques numériques.

Puisque tout le monde est sur YouTube et que tout le monde peut y publier des contenus vidéo, on y trouve de tout… Et même de la science. Des chaînes telles que Trash, Nota Bene, Experiment Boy ou Dirty Biology réunissent entre 500 000 à 1 million d’abonnés. Pour totaliser plusieurs centaines de milliers de vues, les vidéos recourent à des images et des titres parfois racoleurs. Il faut dire que la concurrence est rude face aux chaînes mode, lifestyle et autres vidéos de chatons.

La formule semble fonctionner auprès des lycéens. S’ils découvrent une chaîne scientifique au détour d’une vidéo consacrée à Pokemon, ils s’y abonnent parce qu’elle pourra nourrir leurs révisions. Toutefois, Sandrine Philippe constate que l’image est souvent confondue par les adolescents avec une preuve et que, pour eux, la popularité d’une vidéo est souvent un argument d’autorité. En outre, Josselin Aubrée (Esprit Sorcier) et Thomas Durand (La Tronche en Biais) témoignent des difficultés qu’ils rencontrent pour contrecarrer les discours idéologiques ou complotistes.

La Tronche en Biais répond à la vidéo d’une maman «antivax».

N’oublions pas que YouTube obéit à une tout autre motivation que celle de diffuser la culture, fût-elle scientifique. Reposant sur le modèle publicitaire, la plateforme vidéo cherche à maximiser le nombre d’affichages. C’est pourquoi ses algorithmes recommandent les contenus les plus populaires parmi ceux qui semblent pertinents au regard de l’historique de consultation de l’internaute. C’est ainsi que les algorithmes de YouTube sont soupçonnés de favoriser les « faits alternatifs ».

Cultiver l’esprit critique et la démarche scientifique

Pour faire front, le Café des Sciences s’efforce de fédérer les producteurs de contenus de vulgarisation : vidéos, mais aussi billets de blogs, spots audio et illustrations. Le vulgarisateur en herbe désireux de rejoindre cette association doit soumettre sa candidature à l’évaluation de ses pairs. Les membres sont encouragés à se relire mutuellement et à partager entre eux l’accès aux ressources scientifiques. Pour Pierre Kerner, enseignant-chercheur et fondateur de la plateforme Vidéosciences, il ne s’agit pas de promouvoir la science pour elle-même, mais de contribuer à diffuser la culture scientifique au sein de la société.

20questions à Pierre Kerner, fondateur de Vidéosciences.

Comme en témoigne le dernier épisode de la série animée La Philo en Petits Morceaux, « avant les choses étaient plus simples » : les sciences engendraient, cautionnaient et contrôlaient le progrès technique. Désormais, principe de précaution oblige, les scientifiques doivent de plus en plus endosser le rôle de lanceurs d’alerte face à des technologies dont on mesure mal les conséquences.

Ce changement de rôle des sciences mine la confiance du public, pour qui la figure du chercheur n’est plus très loin de celle du pompier pyromane. Faut-il le déplorer ? Peut-être pas, si c’est l’occasion de prendre conscience que non, aucune science ne détient la vérité : chacune tente de l’éclairer en partie. Comme le souligne Thomas Durand, le propre de la science est de n’obliger personne à la croire.

Thomas Durand et Pierre Kerner s’accordent à déplorer que la science soit perçue comme un ensemble de vérités à apprendre et retenir. L’apprentissage et la reproduction de démonstrations permettent d’acquérir quelques dispositions au raisonnement scientifique, mais pas d’en faire l’expérience concrète. C’est pourquoi des initiatives telles que La Main à la pâte sont précieuses, de même que l’enseignement de l’histoire des sciences.

Le film d’animation «Principe de précaution» dans la série «La Philo en petits morceaux».

The ConversationL’exercice de la vulgarisation se conjugue à merveille à celui de la recherche. Sandrine Philippe anime un atelier vidéo auprès de ses élèves de lycées. Ces derniers produisent des pastilles de vulgarisation à propos des ateliers scientifiques et techniques auxquels ils participent. Pour ses étudiants de licence, Pierre Kerner anime un cours de vulgarisation scientifique dans le cadre duquel ils créent des blogs ou des vidéos, apprennent à chercher et sélectionner l’information. Au-delà de l’acquisition de compétences en communication, ce type d’expérience offre l’occasion de conjuguer esprit critique et démarche scientifique. « Science sans conscience… » Vous connaissez la suite.

Julien Falgas, Chercheur correspondant au Centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.