Peux-tu te présenter plus en détail ?

Arf… Dès tout petit, Phiip gribouille dans ses cahiers d’école, mais dès tout petit, il est trop fainéant pour faire vraiment de la BD. Il apprend à dessiner quand même, fait quelques timides essais de BD, mais apprend un vrai métier qui rapporte des brouzoufs, puis il exerce le métier en question. Expatrié de Tarbes à Lille, il s’attache à la ville, au pays, aux gens, il s’installe et c’est là qu’il trouvera toute l’inspiration pour lapin.

Sinon, Phiip n’aime pas beaucoup donner des informations précises sur lui même, même si, paradoxalement, il adore quand on le reconnaît et qu’on lui dit : « C’est toi qui fait lapin ? Oh, sans déc ? Aaaaah, aaaah (le sujet effectue une génuflexion), je peux vous baiser les pieds ? » Si c’est arrivé, juré craché. Une fois. Comme ses personnage n’ont pas ou peu de nom (le lapin s’appelle lapin, l’ourse verte s’appelle l’ourse verte, le caillou ne s’appelle généralement pas), Phiip aurait dû s’appeler « l’autre type là, celui qui dessine lapin, là », mais c’était beaucoup trop long à écrire alors il a prit la contraction d’un prénom quelconque.

D’où l’idée de Lapin t’est-elle venue ? Quelles sont tes « influences »?

Une nuit Georges Herriman m’est apparu en rêve, et il m’a dit  » je vais te donner le don ultime du comic strip, le sens de l’humour le plus fin du monde, tu deviendras riche et célèbre, les gens t’aduleront, surtout les filles, surtout celles qui sont mignonnes ». Moi, cette nuit là, j’étais un peu fatigué (normal, c’est pour ça que je dormais), alors je l’ai un peu rembarré gentiment, et il s’est un peu énervé, alors je lui ai expliqué que j’avais pas que ça à foutre, que j’avais une vie, alors il s’est fâché tout rouge, et il m’a jeté le sort inverse de celui qui était prévu, et voilà. Sinon je ne vais pas résumer mes influences sous le forme d’une liste à la Prévert (sinon elle occuperait toute la place de l’interview, et on ne parlerait plus de moi, ce qui serait mal et me rendrait tout triste), on va faire deux thèmes : la principale influence dans ma vie tout court, c’est Blueberry, sans l’ombre d’un doute. Sa manière d’agir et de penser, il ne s’avoue jamais vaincu, il trouve toujours des trucs complètement invraisemblables pour se tirer de situations incroyables, et bien croyez-le ou non, c’est une grande partie du caractère de lapin. On retrouve ses traits chez caillou en particulier, qui au bout de 850 épisodes refuse toujours d’admettre qu’il ne peut pas bouger et concourt à sa manière aux jeux olympiques. L’influence Blueberry est contrebalancée par l’influence Gaston Lagaffe. Il est un peu à l’opposé, avec néanmoins ceci en commun que les deux vivent dans un univers qu’ils se construisent eux-même, y entraînant tous les gens autour d’eux. Ils forgent le monde suivant leur convictions, chacun à leur manière. Le second thème, c’est celui des comics strips : quand j’étais étudiant, je claquais tout mon argent de poche en BDs d’occasion (et je mangeais pâtes/purée/petits pois à tous les repas). Je m’étais acheté en particulier pratiquement toute la série des Charlie Mensuel, ceux qui paraissaient dans les années 70 et 80, et j’y ai avidement lu plein de comic strips américains : Krazy Kat évidemment, les Peanuts beaucoup, et une idiotie majestueuse que j’adorais appelée Fosdyke Saga de Bill Tidy qui racontait les voyages et aventures d’une famille de cinglés qui s’est enrichie grâce au commerce de la tripe. Sinon, on peut citer beaucoup d’autres comics strips, avec une grosse préférence pour les auteurs qui ont un gros grain quelque part, comme Scott Adams (Dilbert) qui garde un souffle incroyable, ou Bill Watterson (Calvin and Hobbes), et Gary Larson (the Far Side).

Quelles sont les techniques que tu emploies pour « créer » Lapin et combien de temps la création d’un épisode te prend-elle ?

La principale technique est le copier-coller. Ca se voit tellement, autant l’avouer de but en blanc. Le principe de départ de réalisation de lapin était de faire quelque chose de tellement simple qu’il serait possible d’en faire un par jour avec un minimum d’effort. Genre quatre fois la même case, avec un gros zoom mal fait au milieu pour casser la monotonie. Comme j’ai un métier en même temps, il doit être possible de créer l’épisode en vitesse le soir, même un jour de grande fatigue. A une époque, je réalisais mes cinq épisodes hebdomadaires le week-end, et je n’avais plus qu’à les envoyer aux abonnés chaque matin. Malheureusement, les grands principes ont leurs limites, et je me suis retrouvé à perfectionner les techniques du copier-coller, du traitement numérique de l’image, passant d’effets particulièrement grossiers et mal faits à des effets juste un peu loupés à presque réussis. Le mauvais côté, c’est que chaque épisode prend beaucoup plus de temps à être réalisé. C’est aussi un peu beaucoup la faute à Lax à qui j’ai demandé conseil et qui m’a dit que même si le comique de répétition était intéressant, je pourrais peut-être rajouter un peu de mouvement dans mes cases, lorsque ça ne nuit pas à l’histoire. Alors rajouter du mouvement sur Photoshop signifie : 1 – copier un lapin de la base de donnée sur un fond de la base de données. Mettre du texte (au pif). Hop, deux cases de faites. 2 – pour la troisième case, le lapin regarde derrière comme s’il voulait s’échapper de ce comic strip de crétins (CTRL+T – touche droite de la souris – symétrie horizontale). 3 – pour la quatrième case, copier la case du début. Merci Lax. C’est pour ça que caillou a été créé au départ. Pour me reposer du travail sur la série régulière. Aucun travail particulier, juste une case copiée quatre fois, avec du texte pour faire croire qu’il y aurait un scénario. Je n’avais pas prévu le succès particulier de ce personnage, qui doit être le préféré de près de la moitié des lecteurs !! Tout lapin est à base de photos numériques de saynète (ou juste de personnages ou objets tous seuls) retravaillées, assemblées, copiées, en un mot : bidouillées. Parfois des dessins additionnels à la souris sont ajoutés, occasionnellement, lorsque à la dernière minute j’ai besoin de tel truc pas prévu, je vais chercher des éléments d’image sur Google, que je retravaille ensuite (exemple : la météorite des « Ourses de Prairie » vient d’images de l’espace de la NASA). Une semaine de cinq épisodes prend au total de cinq à huit heures à faire en deux langues (français et anglais), sauf les épisodes de caillou qui prennent deux heures maxi !

Et puis d’abord, pourquoi Lapin ?

Pas la moindre idée. Honnêtement. Je n’avais pas plus l’intention de coudre un lapin qu’autre chose, c’est l’aiguille qui a choisi pour moi. Je cherchais juste un personnage simple, qui soit à moi, uniquement à moi, je n’avais donc d’autre choix que de le fabriquer. L’aspect mal-cousu est un… hmm… trait de génie qui est venu ensuite… hmmm… L’ourse verte vient d’une braderie, caillou des Gorges de l’Ardèche, BRUNO est une photo de la patte de mon grizzly apprivoisé, le docteur canard un assemblage de chutes de bois, etc. Quand j’étais petit, mon chat s’appelait « le chat », mon canard s’appelait « canard » pour le canard jaune et « canard noir » pour l’autre qui est mort jeune, mon chien aurait dû s’appeler « le chien », mais mes parents ont insisté pour que je lui donne un nom (« Comment tu veux l’appeler ? Comment tu veux l’appeler ? Et tu vas l’appeler comment ? »), alors je l’ai appelé Doudou parce qu’il est doux (plus tard il s’est mit à mordre tous ceux qui approchaient de la maison, j’avais vraiment trouvé le nom idéal, comme quoi, si vous devez trouver le nom d’un truc, adressez-vous à n’importe qui d’autre). Alors forcément, lapin s’appelle lapin, et les autres pareil, sauf BRUNO qui est un cas spécial. Du coup, lapin fait penser à Lapin de l’Association, mais bon, que dire ? Même si mon lapin est venu après, je ne me suis pas rendu compte tout de suite de la coïncidence. Faut dire qu’au départ, lapin était très confidentiel, alors le nom exact, je m’en foutais un peu. Maintenant que sa popularité augmente, c’est vrai qu’on me pose la question de temps en temps. Mais bon, franchement, y’a rien à confondre.

Beaucoup de « webcomics » américains qui « réussissent » franchissent le pas du digital à l’imprimé, et on peut souvent constater un véritable merchandising autour de ces webcomics. Cela est-il possible à ton avis pour un webcomic de création française (ou au moins européenne) ?

Pour être très franc, les chiffres qu’annoncent tous ces webcomics sont incomparables avec ceux de lapin. Megatokyo de Fred Gallager fait près de 100 000 visiteurs par jour, 8 bits Theater de Brian Clevinger près de 70 000. Plus des hits comme PVP (Player vs Player) qui a maintenant sa propre série en papier publiée chez Image, ou Penny Arcade. Une partie de ces auteurs vivent carrément de leur comic strip, avec du merchandising certes, mais aussi la vente de publicité sur leur site, ou la vente de vrais livres imprimés comme Diesel Sweeties ou Red Meat. D’après ce que j’ai pu comprendre, la vente de tee-shirt est un business assez profitable lorsqu’on a un énorme trafic, il faut simplement du temps pour s’y investir. Quand on écrit déjà un comic strip, et qu’on a un métier à côté comme moi, c’est pas facile de dégager du temps supplémentaire. De là à faire des sous avec, je ne pense pas. Du moins certainement pas à la mesure de mon salaire régulier actuel !! Pourtant j’aimerais vraiment avoir l’occasion de vendre mon âme en merchandising divers comme Walt Disney ou Scott Adams… Faire du merchandising serait surtout un service pour mes lecteurs, qui me harcèlent pour avoir leur tee-shirts, des posters, des peluches lapin, etc. (Message personnel à l’attention des lecteurs : j’ai un nouveau plan pour faire des tee-shirts, vous allez voir, un plan excellent, mieux que le plan avec Fred, là…) Sur tout ce qui constitue le « portail lapin », on comptait avant les vacances 2.500 visiteurs par jour uniquement sur lapin (10 à 15.000 pages vues). En gros, en cumulant les visites sur les sites et les abonnés, lapin a 1.500 lecteurs quotidiens. C’est bien, mais largement insuffisant pour monter un business et en vivre, ce qui est particulièrement regrettable, car il me tarde vraiment de devenir millionnaire et adulé.

Quelles sont pour toi les principales différences entre bande dessinée « classique » et bande dessinée « en ligne » ? Où te situes-tu par rapport justement au monde de la bande dessinée « classique » ?

Pour citer Elftor (un excellent webcomic, traduit par Phiip d’ailleurs, tiens…), « les webcomics sont gratuits parce qu’ils sont complètement nuls ! » En fait, il y a peu de différence formelle. On trouve des webcomics très dessinés, même si c’est clairement le royaume du copier-coller et du « sprite comics ». Lapin n’est pas représentatif des webcomics, le côté humour absurde et photomontage en font quasiment le seul dans un genre qui est déjà marginal au départ ! Mais quel que soit le media, le but est de raconter des histoires, c’est la façon de raconter qui est intéressante. La réponse à ta question est surtout dans l’utilisation du média qu’est internet. Pas besoin d’éditeur pour montrer ses crottes à tout le monde ! Tout le monde peut avoir une chance sur internet. Créer un site gratuitement est facile et possible, y mettre ses BDs, faire de la promotion intelligente, participer à des communautés La seule chose qui va augmenter la popularité d’un webcomic, c’est si on le lie, si on parle de lui dans les forums, si son contenu augmente régulièrement lui permettant d’être de mieux en mieux indexé dans les moteurs de recherche au fil du temps. Note : c’est dur d’augmenter la popularité des webcomics avec des interviews dans les journaux, parce qu’on ne peut pas cliquer sur les liens, même en appuyant très fort sur les pages. Le tri à la popularité est assez impitoyable. Il existe des milliers de webcomics, tous anglophones, quasiment tous américains (ou anglais, australiens, canadiens…) Chacun aura des archives de plusieurs centaines d’épisodes. Pour être populaire, le seul moyen, c’est d’être bon ! Les webcomics qui marchent vraiment sont chacun intéressant dans un genre particulier. Comme dans la BD classique, vous avez principalement ce qui est mainstream et ce qui est underground. Tous les exemples sont anglophones, parce qu’il faut bien dire que le webcomics n’existe pas ou quasiment pas en français… Dans le mainstream : les Manga (Megatokyo en particulier) et les Gamers Comics, PVP, VG Cats, Penny Arcade, 8 bits theater, Bob and George, Little Gamers et des centaines d’autres. Dans le underground, tout ce qui est un peu trop spécial pour être très populaire : Pokey the Penguin, Elftor, Girl vs Pig, Red Meat, Ninja Blanc (aussi traduit par Phiip), Xzipi, Greg Cresci Comics, Gluemeat, Sauce! ou Captain Suppository. On pourrait citer une troisième catégorie, les « Keenspot Comics », beaucoup plus dessinés, proches de la BD classique, comme Purple Pussy, Superosity ou Sinfest. Bon, personnellement, je ne lis vraiment que ceux de la seconde catégorie, à laquelle Lapin/Rabbit (c’est probablement le bon moment pour signaler que lapin est traduit quotidiennement par Phiip sous le nom de « Rabbit comics », et qu’il tente avec difficulté de se faire une place dans ce marché saturé à mort des webcomics américains, mais comme Phiip est incapable de comprendre le sens des mots « not that welcome here » à l’instar de son idole Blueberry, il continue, et continue, et continue, et il y arrivera parce qu’il ne lâchera jamais son objectif et qu’il récupèrera son foutu honneur de soldat) appartient. Ceux de la première sont un peu trop répétitifs à mon goût, pas assez inventifs (à l’exception peut-être de Bob and Georges et VG Cats =) tandis que les Keenspot devraient plutôt être sur papier, car ils utilisent peu les possibilités d’internet et sont souvent difficilement lisibles sur écran. Par rapport à la BD française, lapin est un truc qu’on ne sait pas où ranger : entre le côté photomontage, la lecture verticale et l’humour assez spécial (mélange d’absurde, de pipi-caca-prout, d’humour de bureau et de parodies), je sens bien que j’embarrasse, un peu comme quand on a la braguette ouverte. Accessoirement, lapin n’étant pas publié sur papier dans le format 46 pages à couverture cartonnée, ça peut pas aider, hein ? M’en fous. Je deviendrai le maître du monde quand même.

Quels sont les projets d’avenir de Lapin ?

Lapin paraîtra un jour sur papier, ça c’est sûr. Si je dois créer une petite maison d’édition pour cela, et publier au passage Ninja Blanc, Elftor et d’autres trucs, pourquoi pas, l’aventure me tente beaucoup, le seul truc qui me manque, c’est le temps. Actuellement je suis en palabres avec un éditeur que je ne citerai évidemment pas. Je ne sais pas si ça va aboutir, mais ça serait très intéressant de bosser avec quelqu’un d’autre dans l’idée de mettre lapin sur papier. Comme on va atteindre bientôt le 1000è épisode, je vais faire plein de trucs spéciaux, mais je ne sais pas encore lesquels, on verra ça la veille au soir comme d’habitude. Probablement des tee-shirts. Des affiches. J’adorerai faire des peluches lapin aussi. Et aussi réaliser une semaine ou deux de Guest Comics (grande tradition des webcomics) où d’autres auteurs de BDs et/ou de webcomics réalisent un épisode de lapin. Après, Phiip a des milliards de projets, mais faut pas le lancer dessus, sinon on est repartis pour dix pages, et vous avez probablement une limite pour les interviews, hein ? Non ? Alors je…

Merci beaucoup