« Ce petit livre est d’une nature mixte. Il se compose d’une série de dessins autographiés au trait. Chacun de ces dessins est accompagné d’une ou deux lignes de texte. Les dessins, sans ce texte, n’auraient qu’une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien. Le tout forme une sorte de roman, d’autant plus original qu’il ne ressemble pas mieux à un roman qu’à autre chose. » [1]
Rodolphe Töppfer, considéré comme l’inventeur de la bande dessinée, était conscient des enjeux représentés par le médium qu’il initie en 1827. Si le théâtre a dès le départ été le lieu d’une mixité des moyens, la bande dessinée depuis sa première forme historique (la « littérature en estampes », selon Töppfer) peut-être considérée comme le premier terrain moderne d’exercice du multimédia au sens où le définit Florence de Méredieu :
« (ce qui fait) appel à une pluralité de « médiums » ou supports techniques (peinture, photographie, sculpture, vidéo, image numérique, etc.) ». [2] C’est cette situation particulière de la bande dessinée qui en fait le point de départ tout désigné d’une réflexion sur le support numérique en tant que lieu contemporain privilégié de la création multimédia. Je suis, en cela, le même raisonnement que Benoît Peeters, lorsque, avec François Schuitten, il explique la façon dont leur univers des Cités Obscures [3] s’est naturellement décliné sur d’autres supports que l’album de bande dessinée, jusque dans des expositions multimédia :
« »La bande dessinée entretient de nombreuses affinités avec le multimédia. Composite par nature, elle utilise prioritairement l’image fixe et le texte écrit, comme le font aujourd’hui le CD-rom et les réseaux. Tout comme le multimédia, la bande dessinée est une écriture discontinue : c’est au lecteur qu’il appartient de jeter les ponts entre les cases, c’est à lui de définir le rythme et le type de parcours. On pourrait donc dire que la bd est, par son fonctionnement, plus proche du multimédia que ne le sont le cinéma et la télévision. » » [4]
Il convient cependant de nuancer le propos, car comme le note Thierry Groensteen [5], la bande dessinée contemporaine ne se définit plus par un caractère mixte : l’écrit a perdu son statut de véhicule privilégié du récit, l’image peut se suffire à elle-même dans l’émergence du récit. La bande dessinée se situe en réalité pour lui « à la charnière entre la civilisation du livre et celle du multimédia » par la façon dont elle convoque une activité multiple du sens visuel, sans pour autant s’adresser à d’autres sens que ce dernier. Il s’agit donc de considérer plus précisément ce que Groensteen nomme « le jeu de la succession des images » et qui est pour lui le fondement du médium.