Souvent considérée ou confondue avec la littérature pour enfants, la bande dessinée a malgré tout accueilli quelques exemples d’intégrations ludiques.
Töppfer n’est reconnu comme l’inventeur du médium que depuis quelques années à l’instigation d’universitaires européens. Jusqu’alors c’était Richard F. Outcault qui était traditionnellement considéré comme le père du médium pour avoir le premier utilisé la bulle dans un cartoon[1]. Or la série du Yellow Kid n’est séquentielle que dans quelques exceptions. A l’origine, le cartoon (qui n’était pas alors tout à fait un comic-strip) consistait en une grande image fréquemment accompagnée de quatre ou cinq colonnes de texte. Ces images sont définies par Thierry Smolderen par le terme d’images grouillantes[2], la narration s’établit par le jeu du regard parcourant à son gré les multiples événements déclinés sur une même image, cherchant les correspondances avec le texte. A l’origine de la bande dessinée, il y a donc la proposition d’un jeu plus conscient que celui offert par le moyen elliptique ; mais ce jeu n’est qu’illustratif, car le texte comme l’image pourraient se suffire à soi-même.
Ce type de jeu perdure aujourd’hui dans les albums pour enfants de Martin Handford[3] dans lesquels le lecteur est appelé à retrouver le personnage principal (Charlie) au sein d’une image grouillante d’éléments. Mais la narration ne s’élabore plus ici qu’entre les jalons que constitue chaque double-page, le séquentiel est redevenu le principal moyen du récit, ce dernier ne constituant plus que l’alibi du jeu.
D’autres auteurs ont eu l’idée d’utiliser la bande dessinée pour monter de petites enquêtes demandant au lecteur une déduction basée sur son acuité visuelle. Ainsi Jean-Louis Fonteneau[4] dont les histoires s’achèvent toujours par une énigme exigeant du lecteur une lecture attentive afin de relever le détail qui lui permettra de confondre un coupable. Ici aussi le récit n’est construit que pour servir de prétexte au jeu.
Les auteurs peuvent donc se mettre au service du jeu, le récit ne s’élabore pas par le jeu, mais pour lui. L’auteur ainsi ne remet pas son statut en jeu, il ajoute simplement à sa casquette d’auteur de récit celle d’auteur de jeu. Toutefois si la bande dessinée ne propose pas de récits énoncés par le jeu, elle y tend. Si Groensteen la considère comme un maillon entre la culture du livre et celle du multimédia, alors il faut remonter la chaîne et s’intéresser aux bandes dessinées créées pour le numérique.