Enfin Libre se définit comme un collectif d’expérimentation graphique, qui êtes vous ?
Enfin Libre est à l’heure actuelle un duo formé de David Barou au dessin et Philippe Renaut au scénario. L’expérimentation graphique pour nous, ça n’est pas forcément être original à tout prix, mais c’est garder à l’esprit lors de la conception d’une nouvelle BD la volonté de surprendre le lecteur aussi bien dans la forme que dans le fond.
Cela nous amène souvent à produire des travaux dont la lecture est inhabituelle, de la BD sous contrainte en quelques sortes mais avec des contraintes légères, qui viennent modeler l’histoire sans la vider de son sens.
Pour donner quelques exemples d’expérimentations graphiques : des peuples complémentaires en blanc sur noir et noir sur blanc qui rentrent en contacts l’un avec l’autre, une BD en coupe où l’on voit 48 fois la même scène à 30 minutes d’intervalles et où les personnages évoluent en parallèle, un monologue graphique, des bandes en accordéon qui se déplient… Le collectif n’est formé que de deux personnes pour l’instant mais l’idée est bien sûr d’intégrer des artistes qui auraient cet esprit de recherche pour approfondir ou découvrir de nouvelles terres… même si à deux lorsque l’on se connait de longue date l’osmose est plus facile pour produire de nouvelles idées.
Votre terrain d’activité est la bande dessinée, pourquoi avoir choisi Internet comme support principal ?
Internet constitue à la fois notre coeur de métier principal (même si l’idéal serait bien sûr de vivre de BD !) et aussi un outil en permanente effervescence pour la recherche de nouvelles idées. En l’absence d’éditeurs, il est beaucoup plus facile pour de jeunes auteurs de faire des tentatives sur le Web à la fois pour la diffusion et pour la réalisation. Par exemple les petites bandes en accordéon peuvent facilement être modélisées par une animation Flash alors que leur réalisation papier est nettement plus ardue. Par ailleurs nous avons indépendamment d’idées papiers transposable sur le Web des idées liées uniquement à l’Internet.
Le site de David est à la base un site d’expérimentation web. Les travaux réalisés à deux y gagnent une dimension narrative.
Enfin l’un des principals atouts du Web est évidemment sa capacité de diffusion. Le bouche à oreille et surtout des sites comme Abdel-Inn permettent à des auteurs inconnus d’avoir des réactions, des opinions sur leurs réalisations. Cela permet parfois des rencontres, des contacts intéressants qui nous amène à évoluer, à comparer. Bref, cela constitue une bonne stimulation intellectuelle !
Vous avez déployé le concept de BD à fabriquer soi-même d’abord à titre expérimental, puis le cadre d’un concours autour de la série Donjon, et à l’occasion de la Fête de l’Internet 2003 en collaboration avec france2.fr et france3.fr …
Effectivement ‘la BD dont vous êtes les héros’ est un bon exemple de mise à disposition de la technologie au service de la narration. L’idée de départ est simple : comment créer un livre d’or, permettre à des gens qui sont pour la plupart des lecteurs ou des auteurs, de s’exprimer avec leur talent de graphiste ou de scénariste ? De là est née l’idée de la page de 9 cases à créer soi-même à partir d’un panel d’image triées par catégories. Le vocabulaire, les codes de la bande dessinée permettent avec peu de variété d’images de créer une infinité de situations, du comique au tragique suivant la mise en scène et les dialogues qui sont librement ajoutés dessus. L’idée a eu du succès depuis le simple livre d’or sur notre site personnel, à son utilisation par les auteurs de la série Donjon pour ‘offrir’ en quelque sorte leurs créatures à l’imagination du grand public, puis à un concours lors d’un dossier sur le thème de l’OuBaPo[1], permettant à des gens qui découvraient les contraintes narratives et graphiques de l’OuBaPo de se lancer et d’essayer de produire des BDs respectant ces contraintes. Bien sûr, sur ce genre d’expérimentations grand public, les résultats sont de qualité très variable mais notre expérience est qu’elle permet vraiment de libérer la créativité plus que de la brider.
Pensez vous que ce type de production et la création d’histoires en ligne en général ont un avenir professionnel ?
Nous croyons que la production et la création d’histoires en ligne a un fort potentiel mais pas précisément au niveau professionnel. Au contraire. Le potentiel principal du monde en ligne à notre sens réside dans l’ouverture, la gratuité et la transparence que cela offre aux amateurs. Peut-être y aura t’il dans le futur un lien plus direct entre la publication en ligne, le vivier d’auteurs que cela représente et le passage à la publication papier, mais tant que la lecture en ligne n’a pas atteint une maturité bien plus importante, la création d’oeuvres en ligne reste à notre sens un banc d’essai, une vitrine, certes parfois d’aussi bonne voire meilleure qualité que des publications papiers, mais celle-ci reste l’objectif final.
Vous cherchez actuellement des éditeurs pour plusieurs projets plutôt conçus pour le support traditionnel …
Dans ce contexte, notre objectif est effectivement d’obtenir grâce à ce foyer de réflexion, de remise en question et de contacts qu’est l’Internet un niveau de maturité suffisant pour intéresser un éditeur papier. Nous avons de tout temps travaillé pour le plaisir de voir un jour l’ouvrage final et papier entre les mains. Notre dernier projet et le plus abouti recherche actuellement un éditeur. En quelques mots deux peuples l’un en noir sur fond blanc, l’autre en blanc sur fond noir vivent de part et d’autre d’un fleuve d’encre noir, et dans l’ignorance respective l’un de l’autre. Lorsque l’un des peuples se met soudain à envoyer des objets qui viennent perturber le peuple d’en haut, le fragile équilibre qui maintenait ces peuples va se dissoudre lentement et leur faiblesse respectives apparaitre en plein jour. Un travail sur la dualité noir et blanc qui cache tout un éventail de nuances…