Parmi les premières expériences en ligne de Scott Mc Cloud, The Adventures of Carl présentait en 1998 un récit de bande dessinée pouvant s’étendre de deux à cinquante deux vignettes au gré des volontés du lecteur. Le récit minimal consiste en deux cases : dans la première, Carl promet à sa mère de ne pas boire et conduire, la seconde présente la pierre tombale de Carl. L’ensemble des autres cases peut être ajouté une par une entre ces bornes pour diluer le récit, peut-être en mimétisme du défilement de la vie devant les yeux du mourant. La narration est cependant composée par l’auteur puisque ses cinquante deux états sont déjà prévus, le lecteur a simplement la liberté de les consulter (ou non) dans l’ordre de son choix. Cette possibilité de choisir sa lecture fait du scénario de cette œuvre un scénario génératif et constitue une forme de jeu pour le lecteur confronté à un hasard contrôlé. L’auteur a décidé de la valeur des cinquante deux faces de son dé numérique, mais le lecteur ne peut que manipuler ce dé car aucune règle ne lui permet de le lancer.
Scott Mc Cloud a prolongé cette expérience par une seconde « aventure » achevée en 2001, ouverte cette fois à la contribution des lecteurs. Un millier de lecteurs en l’espace de plus de deux ans ont contribué à retracer la vie de Carl entre les deux bornes initiales. Chaque semaine une de leurs suggestions était choisie par l’auteur et représentée par une ou deux vignettes. Le résultat n’est plus un récit unique mais des récits multiples qui se séparent, se croisent et se rejoignent sur un vaste espace numérique dont le parcours est laissé au gré du lecteur. Dans le cas de cette œuvre, l’auteur a moins été auteur d’une narration que l’arbitre du jeu qu’il proposait à ses lecteurs, le principe n’est pas sans rappeler celui des cadavres exquis de Dada dont la portée narrative est plus fortuite qu’imputable à un individu.
Faut-il en conclure que pour la bande dessinée en ligne également, jeu et narration restent dissociés, ou bien est-ce dû au fait que Scott Mc Cloud reste plus attaché au versant bande dessinée qu’au versant multimédia ?