En réponse à mon précédent billet sur les modèles économiques de la BD numérique, Fred Boot me fait observer à juste titre :

Les éditeurs de jeux video ne chercheront pas plus à niveler la création vers le haut. La logique de production est celle du plus petit dénominateur commun, bien plus que chez les éditeurs de BD.

Ou alors, il faut une vraie structure « cohérente » comme Ankama, où des créatifs passent parfois d’un domaine à l’autre.

Malheureusement disposer des moyens et des compétences ne préjuge pas de la capacité à encourager la création artistique. Ce qui nous ramène à l’essor du jeu vidéo indépendant que je citais un peu plus tôt. L’innovation en jeu vidéo vient aujourd’hui très fortement de petites structures qui bénéficient enfin d’un accès direct au consommateur par le biais des stores de téléchargement.

Transposons cela à la BD numérique et on abouti à deux préconisations pour les institutions en place.

1- Si l’on veut impulser efficacement l’émergence d’une création francophone, il faut débloquer des fonds dédiés à la production. Afin de donner les moyens aux auteurs de se lancer dans l’aventure. Le jeu vidéo indépendant se fait aujourd’hui très peu au fond d’un garage.

2- Quelle que soit l’évolution du financement de la création, il serait bon que les réseaux de diffusion qui tentent de se constituer aujourd’hui autour de l’adaptation d’oeuvres mainstream (les catalogues des éditeurs) s’ouvrent aux indépendants. En leur confiant éventuellement les outils de production (ex: de quoi zaver ses BD pour Ave!comics). Le seul risque pour eux ? Voir leurs stores s’enrichir de productions originales qui feront peut-être bien plus avancer les choses, y compris dans les méthodes d’adaptation des oeuvres existantes.

La vente des albums ne sera pas remplacée par la vente de fichiers numériques parce que notre bande dessinée n’a pas du tout les mêmes contours que le manga (on ne la lit pas dans les transports et on ne la jette pas après l’avoir lue). Face à une offre numérique redondante à l’offre papier, le public préfèrera nécessairement une production originale. Si l’establishment ne prend pas les initiatives qui s’imposent, tous nos espoirs reposeront sur les rares auteurs qui acceptent de faire ce que leurs pairs anglosaxons ont fait en s’affranchissant des institutions.

Concernant mes deux préconisations :

1- Je doute très fortement que des structures de production n’émergent de la part d’aucun des acteurs actuels. Il faudra peut-être qu’une structure à vocation non lucrative comme notre association se donne cette mission, en allant chercher l’argent ailleurs : auprès du lectorat et de sponsors privés ou publics.

2- Aucun format actuel de diffusion numérique marchande ne parviendra à s’imposer comme standard. Aucun de ces formats n’est suffisamment ouvert pour autoriser la pleine exploitation du support numérique par les auteurs. La page web est le seul standard du monde numérique : son accès est libre, aisé et de plus en plus répandu jusque sur les terminaux mobiles. Nos activités numériques sont de plus en plus basées sur le web : nous lisons nos mails sans client de messagerie afin de pouvoir y accéder de n’importe quel poste, nous composons des documents bureautique en ligne pour les partager plus facilement (il existe même des solutions d’infographie accessibles avec un simple navigateur), nous stockons nos photos et nos données sur le réseau pour les mêmes raisons. Le web remplace progressivement le système d’exploitation. Entre une BD en ligne et une BD accessible depuis un lecteur dédié, le choix du public ne fait pas un pli. Comment se placer sur ce marché d’avenir bien plus prometteur que l’adaptation d’oeuvres existantes ? Cf la première préconisation !