L’institut BVA a publié une étude intitulée « comment le digital native voit-il le monde ?« . Les « digital natives », ce sont les 18-24 ans d’aujourd’hui et tous ceux qui les suivent : les « nouvelles technologies » ont toujours fait partie de leur vie. C’est un public à considérer avec la plus grande attention pour faire évoluer l’offre culturelle sur support numérique. Dans 5 ans, les digital natives représenteront plus de 30% de la population.
En réponse à mon analyse de l’étude IPSOS sur les publics du livre numérique, Henscher rappelait : le public qui consommera le livre numérique a une dizaine d’années pour le moment. (…) Il y a une génération de mutants qui arrive.
. Les Etats Généraux de la BD qui se dérouleront vendredi tourneront justement autour de la futurologie : nous allons tenter de nous faire une image la plus précise possible de ce qui pourrait se passer dans les cinq ans à venir…
Dans un tel contexte, la publication de l’étude sur les « individus numériques » tombe à point nommé.
En matière de consommation, l’étude conclut que les 18-24 ans :
- font passer leur budget numérique avant l’alimentation ou le logement, et y consacrent au moins 100€ par mois ;
- accordent moins d’importance à la possession et plus au don, la (re)vente d’occasion ou à l’échange, sources de lien social ;
- comparent systématiquement avant leur achat, pour faire des économies (leur pouvoir d’achat et faible), mais aussi parce que dénicher les « bons plans » est source de reconnaissance sociale.
Les offres actuelles en matière de livres et de BD numérique sont donc aussi déconnectées des attentes des « ditigal natives » que de celles de leurs ainés. On se focalise en vain sur la volonté de donner une valeur à un objet : le discours dominant prétend inculquer aux jeunes l’idée qu’une oeuvre ça n’est pas gratuit. Or, la valeur aux yeux des jeunes a glissé de la possession vers la relation. Pour eux posséder un livre ce n’est pas l’acheter et le ranger dans sa bibliothèque, c’est le découvrir, le lire et le partager. Mais pour pouvoir le faire avec des livres numériques, encore faudrait-il que :
- des offres d’abonnement permettent l’accès aux catalogues et pas seulement l’achat ou la location au détail ;
- lors d’un achat, des DRM n’interdisent pas la transmission de l’objet numérique (prêt, don, échange, partage) ;
- les plateformes de distribution deviennent des espaces de découverte, de recommandation et de partage au lieu d’être des hangars numériques sans âme.
Corry Doctorow ne dit pas autrechose lorsqu’il explique pourquoi il n’achètera pas un iPad :
Prenez par exemple l’application Marvel dédiée à l’iPad (jetez juste un coup d’œil, pas plus). Enfant, j’étais fan de comics, et je le suis resté. Ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était de les échanger. Il n’existait pas de medium reposant davantage sur les échanges entre gamins pour constituer son public. Et le marché des bédés d’occasion ! C’était – et c’est encore – tout simplement énorme, et essentiel. Combien de fois ai-je farfouillé dans les caisses de bédés d’occasion dans un immense entrepôt poussiéreux pour retrouver des anciens numéros que j’avais ratés, ou de nouveaux titres pour pas cher (dans ma famille, c’est devenu une sorte de tradition qui se perpétue d’une génération à l’autre – le père de ma mère l’emmenait tous les week-ends avec ses frères et sœurs au Dragon Lady Comics sur Queen Street à Toronto pour troquer leurs vieilles bédés contre des nouvelles).
Qu’ont-ils fait chez Marvel pour « améliorer » leurs bandes dessinées ? Ils vous interdisent de donner, vendre ou louer les vôtres. Bravo l’amélioration. Voilà comment ils ont transformé une expérience de partage exaltante et qui crée du lien, en une activité passive et solitaire, qui isole au lieu de réunir. Bien joué, « Marvsney » (NdT : Contraction de Marvel et Disney, en référence au récent rachat du premier par le second pour 4 milliards de dollars).