Vendredi 20 mai 2011, une dizaine de personnes étaient réunies à Paris autour du groupe de travail « Aide à la création » de l’association Pilmix.org. Les échanges ont montré que des formes narratives commençaient à se distinguer (en particulier le turbo média) et que des outils de création étaient disponibles ou en voie de l’être. En revanche, tout reste à faire pour offrir aux auteurs des perspectives professionnelles et pour légitimer la lecture de récits sur support numérique aux yeux du public.

Les présentations faites (liste en fin de billet), les échanges s’orientent rapidement vers le turbo media. La forme semble faire l’unanimité tant chez les auteurs que chez les concepteurs. La version 0.2 du projet Art of Sequence doit permettre de produire du turbo media. Emedion produit déjà des applications iPhone turbo media avec Marc Lataste et Azote comics (la version iPad propose également une composition en planches plus traditionnelle). Tinyshaker offre une solution autonome pour publier du turbo media sur le web sans flash, la solution est experimentée par les étudiants de l’atelier de BD numérique animé par Jospeh Béhé aux Arts Décoratifs de Strasbourg.

L’intégration ponctuelle de son, d’animation où d’interactivité est volontiers envisagée. Mais les échanges butent sur la viabilité économique. Malgré l’arrivée d’outils sensés leur éviter de s’improviser programmeurs, les auteurs ressentent le besoin d’un accompagnement technique, voire de la participation d’un nouveau collaborateur : le « monteur ». Pour illustrer les difficultés à faire intervenir un « monteur numérique », Eric Turalo évoque un projet qu’il co-scénarise avec Yannick Lejeune (également éditeur chez Delcourt). Au début du projet, Ave!Comics était la plateforme des premiers projets numériques Delcourt. Désormais, l’éditeur est engagé dans Bandes numériques (Izneo). Or Ave!comics avait coutume d’intégrer le montage numérique à sa prestation. Pour sa part, Bandes numériques n’offre pas ce type de service. Dès lors, les coûts de montage numérique risquent d’être ponctionnés sur la part de travail dévolue aux auteurs… Ce revirement de situation complexifie l’idée originale du projet : une publication multiplateforme dans laquelle le numérique n’est pas conçu comme un outil promotionnel (gratuit) de la publication papier, mais comme une création à part entière destinée à la commercialisation.

MàJ 3 juin 2011 : les auteurs m’informent qu’ils n’ont pas baissé les bras et ont peut-être trouvé les solutions pour concrétiser leur projet

La réunion s’achève sur un constat marquant : Emedion, Ave!Comics tout comme Webcomics.fr s’orientent vers un élargissement de leurs activités au delà du milieu de la bande dessinée. Que ce soient de la part des éditeurs ou des auteurs de BD, la frilosité à créer pour le numérique pousse les différents acteurs « techniques » à envisager des usages à leurs outils par des gens venus d’autres cultures. La question de la place de la BD dans l’émergence de formes narratives numériques est posée. Sébastien Naeco voit dans le transmédia une réponse possible, dans laquelle la bande dessinée aurait une place naturelle. Mais plusieurs réserves sont émises, notamment quant à l’envergure de tels projets. Contrairement aux grosses machines transmédia, la bande dessinée représente une forme très légère de création narrative. De plus, le transmédia n’interroge pas les formes instituées : c’est un mode de production qui tend à maintenir les différentes industries culturelles dans des formes acquises, antérieures au numérique. Si la bande dessinée est une forme narrative par nature « hospitalière » à l’incursions de médias étrangers comme l’envisage Eric Turalo, il lui reste encore à profiter de son hospitalité pour jouer pleinement son rôle sur la scène des histoires sur support numérique.

Les volontés de développer des solutions à ces différents problèmes ne manquent pas. En revanche, les moyens pour le faire sont toujours aussi complexes à déployer. Des développements tels qu’Art of Sequence ne pourront prendre toute leur ampleur sans la participation d’autres développeurs. Or Klaim observe que dans le logiciel libre, les développeurs participent soit parce qu’ils ont eux-même besoin du logiciel final, soit parce qu’ils sont très impliqués dans les objectifs de ce projet. Or les développeurs motivés par la bande dessinée numériques se comptent sur les doigts de la main et aucun acteur économique ne montre pour l’heure de signes qu’il pourrait affecter des moyens de développement à de tels projets. La représentation et la prescription autour de la BD numérique rencontrent les mêmes limites : Sebastien Naeco soutient l’idée d’un bureau de la BD numérique, sous forme associative (plus ou moins l’objectif de Pilmix.org), mais force est de constater qu’un tel projet ne pourra aboutir temps que personne ne sera en mesure de se consacrer à temps plein à la logistique d’un tel projet culturel.

Participaient à cette réunion

  • Joel Lamotte (Klaim), développeur du projet Art of Sequence destiné à offrir un outil de montage narratif intuitif pour tout type de contenu numérique
  • Cyril Abdoulhamid, chef de projet jeu vidéo chez Ankama
  • Lauris Stephani, dévelopeur intéressé par le projet de Klaim
  • David Sacomant, dirigeant de Emedion, une société qui propose un outil de montage narratif numérique pour créer des applications mobiles
  • Sébastien ‘Naeco’ Célimon, blogueur du Comptoir de la BD
  • Thomas Hurtut, enseignant chercheur en traitement informatique des images
  • Eric ‘Turalo’ Dérian, auteur de BD
  • Patrick ‘Patès’ Feillens, auteur de BD
  • Maëva Poupard, scénariste
  • Julien ‘JiF’ Falgas, moi-même, observateur et promoteur passionné de la BD numérique depuis une douzaine d’années