A la veille de la reprise de mes interventions devant les étudiants de Master Contenus et Projets Internet, quelques mots sur la deuxième édition d’un ouvrage de 2008 qui avait rapidement rejoint les références incontournables de nos séances. Comment le web change le monde conserve les qualités de synthèse qui faisaient sont attrait en 2008. Il sacrifie en revanche l’acuité de son propos en intégrant le développement récent des réseaux sociaux et du web mobile.
Ces apports nécessaires mettent malheureusement à mal la cohérence et l’impact du propos initial. En sous-titrant leur ouvrage « des internautes aux webacteurs », Francis Pisani et Dominique Piotet avouent un revirement d’intérêt. Leur propos est marqué par le rôle d’Internet dans les révolutions qui ont secoué les pays Arabes peu avant la sortie de l’ouvrage. Délaissant un peu les pratiques créatives et productives des internautes, les auteurs se recentrent autour des activités sociales des « webacteurs ». L’idée d’une « alchimie des multitudes » souffre de la juxtaposition avec une thèse nouvelle, marquée par le boom du web social.
Le travers de l’ouvrage n’est peut être que le symptôme d’un mal plus large.
En traitant nos discussions comme des contenus, en leur donnant une visibilité comparable, Facebook et consors concurrencent nos véritables productions jusque dans les ouvrages spécialisés. Comme le rappelle le sociologue Dominique Cardon dans un entretien publié sur le site des sciences économiques et sociales de l’ENS Lyon :
Pour ne pas parler des récents exemples tunisiens et égyptiens, il suffit de se souvenir du rôle des listes de discussion dans la diffusion de l’argumentaire pour le « Non » au Traité constitutionnel européen
En 2005, nos discussions étaient confinées dans nos boîtes mails, nos canaux de chat ou nos forums. Elles n’en avaient pas moins de potentiel. Les webacteurs n’ont pas attendus Facebook… Mais depuis que Facebook place nos webactions sur le même plan que nos webproductions, nos webproductions passent au second plan. La vigilance est de mise pour ne pas sacrifier la création à l’action.
Terminons par quelques mots empruntés à Dominique Cardon, qui illustrent parfaitement la situation dans laquelle Dominique Piotet et Francis Pisani semblent s’être empêtrés :
Internet fait se rejoindre deux chronologies jusqu’alors séparées de familles d’outils de communication. Il est à la fois et en même temps un média de masse (one to many) et un média de communication interpersonnelle (one to one). Toute l’histoire des pratiques d’Internet témoigne d’une articulation de plus en plus étroite des outils permettant de publier (des textes, des photos ou des vidéos) et des technologies grâce auxquelles on peut discuter en petit groupe (messagerie, messagerie instantanée et réseaux sociaux). C’est justement cette hybridation de deux formes de communication qui étaient jusqu’alors très strictement séparées qui fait la nouveauté d’Internet et dont on ne mesure sans doute pas toutes les conséquences.